Melmoth furieux by Sabrina Calvo

Auteur:Sabrina Calvo [Calvo, Sabrina]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française
Éditeur: La Volte
Publié: 2021-09-02T00:00:00+00:00

Est-ce que j’y crois ?

Du creux des plumes acérées se tourne une tête infernale, goitre et petit crâne. Pour me défier, moi.

Toute seule face à cette créature de cauchemar.

— Fuck mais t’es quoi toi ?

Deux horribles yeux bleus sans fond me pétrifient. Folie. Un pélican. C’est un putain de pélican de l’enfer.

— Lâche-le !

Ça le vénère grave. Au ralenti, il se déplie. Il ouvre le bec – abysse noir. Ses immenses pattes aplaties sur le dos de Villon. Puissance du muscle. Son amplitude démente. Là, sous mes yeux : la full figure du pélican féroce, son crâne si petit et le bec disproportionné. Je ne sais pas où je trouve l’énergie de le rusher, ce fils de démon. Je me jette sur lui, toutes semelles devant, bam ! Je le percute sans me poser de question dans un fouillis de plumes qui déchirent ma peau. Toute mon énergie, toute ma violence déjà poussées à bout par la fight des escaliers décuplent mes poings, mes pieds, coup de tête, coup de genoux, il s’attendait pas à ça, à cette brutalité qui s’abat sur lui avec toute la force du malheur de la tristesse et de la vengeance. J’esquive son bec, il veut m’avaler mais je suis trop grosse, trop forte pour lui. J’esquive ses ailes, il me fouette, déchire mon cuir, le fend en deux, lamelles. J’esquive ses pattes, qui veulent m’attraper pour me porter au loin, dans le ciel. Il peut rien contre moi, je m’acharne je deviens tempête et je finis par le convaincre de lâcher l’affaire : non, tu ne nous auras pas. Rien à faire : moi vivante, on reste là. D’un coup d’ailes qui balaient toute poussière du sol, il prend son envol, bredouille. Je le regarde en torche ascendante dans le ciel tourmenté de la Commune. Accélérer. Disparaître. Je suffoque. J’ai du mal à croire que je suis là, les mains en sang. Des plumes partout. J’entends crier derrière moi, les keufs qui tombent plein de matraques et de rires sadiques. Je suis prête, je les attends, leurs coups. Comme si j’avais autour de moi un halo tissé à partir de mes fringues, qui me protège. C’est d’instinct que je le forme, ce rempart contre leur haine. Un signal qui a traversé les couches de mon être, enroulant mon âme dans la matière à mesure qu’elle s’incarne. Mon cuir comme armure et tout le reste qui va prendre cher mais au moins je serai safe, moi et toutes celles autour desquelles je m’enroule. Je m’agenouille pour prendre Villon dans mes bras. J’ai l’impression qu’il est mort. Mais non. Il ouvre les yeux quand sur sa nuque je place mes doigts. Je lui murmure des mots qu’il connaît, des mots rassurants. Il me regarde, terrifié. Une plaie béante, sur son flanc. Pas de sang – non.

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