Baudelaire by Stefan Zweig

Baudelaire by Stefan Zweig

Auteur:Stefan Zweig [Zweig, Stefan]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions Payot
Publié: 2020-12-11T14:02:25+00:00


Ça rime mal,

Mais m’est égal5

montrant avec une clarté indépassable combien il s’intéressait peu, au fond de lui-même, à ces querelles de parti.

D’une manière générale, sa gloire officielle et la dignité de « Prince des Poètes » qui lui fut finalement décernée en 1894 cadrent mal avec sa vie ultérieure. Sur le plan poétique, il n’a pratiquement plus rien donné après Amour et Parallèlement. Cette étrange « humeur à la Tannhäuser » – comme l’a finement caractérisée Edmond Pilon6 – qui tantôt se consacre à la ferveur du culte marial, tantôt tente de nouveau de rejoindre le mont de Vénus, finit par devenir une singulière dichotomie. Une fois, il est le troubadour de l’alcôve, le plus hardi, le plus cynique et le plus sensuel, qui représente ses amantes dans les positions les plus osées ; et dans le même temps, dans son autre recueil de poèmes, il sait magnifier non seulement l’élévation religieuse, mais aussi et tout spécialement le mysticisme aux couleurs ardentes du rite rigoureusement catholique. Pour finir, l’ambiance religieuse s’aplanit totalement ; il ne compose plus que des poèmes d’occasion sans valeur dédiés à des amis, de petites formes risquées ; le jeu puéril recouvre toute sensation artistique – il est vrai qu’elle a déjà été ensevelie par le réveil brutal de la vanité de ce poète devenu célèbre d’un seul coup.

Sur les dernières années de sa vie, il n’y a pas grand-chose à dire. Quand il n’était pas, comme à son ordinaire, malade et à l’hôpital, il titubait d’un bistrot à l’autre, porté par l’ivresse ininterrompue que lui procurait l’absinthe, ou atterrissait parfois, par mégarde, dans une église. Anatole France, qui lui a aussi dressé un monument dans son roman Le Lys rouge, décrit dans une nouvelle, Gestas, ce pauvre égaré tellement méprisant et que nul, pourtant, ne peut mépriser. Son personnage est lui aussi peu à peu devenu une caricature : il n’avait plus un cheveu sur son crâne chauve et anguleux dont on a démontré par la suite qu’il avait tous les traits typiques de la dégénérescence, la barbe hirsute avait blanchi et perdu ses contours ; il avait l’air d’un fou quand il rentrait chez lui en titubant, le soir, dans son ivrognerie et sa tristesse sans fin, donnant à son humeur une expression bruyante et sans frein. À l’époque, on a tenté d’honorer et de rabaisser cet auteur dont on n’a pas vraiment pu trouver d’ancêtre parmi tous les poètes français en le comparant avec le compositeur de ballades, voleur de grand chemin et assassin François Villon.

Et c’est aussi à l’hôpital qu’il a fini par mourir, le 8 janvier 1896, à Paris. Ni sa femme ni son enfant ne l’ont accompagné dans son dernier voyage. Seuls des amis de littérature du temps de sa jeunesse ou du temps du grand âge ont prononcé les derniers mots, et plus d’une haine partisane dissimulée planait encore au-dessus de la tombe du poète, que tout le monde comptait dans ses rangs parce qu’il n’appartenait à personne, lui qui, simple et ignorant, avait au contraire toujours traversé la vie comme un enfant perdu.



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