Manituana by Wu Ming

Auteur:Wu Ming [Ming, Wu]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Italienne, Roman Historique
Éditeur: Alaouet - Gigatribe (Kezacoco - TAZ)
Publié: 2011-12-25T23:00:00+00:00

17

Les grosses tours surgissaient, massives, du fossé qui entourait les murs. L’édifice central, fermé par des tourelles claires, se détachait sur le ciel plombé. Force et élégance s’unissaient. En comparaison, le château de Québec était peu de chose. Ce n’est que dans les livres illustrés qu’il en avait vu de pareils. Peter se remplissait les yeux de chaque détail, il voulait l’imprimer dans son esprit, pour reconstruire cet édifice majestueux pierre par pierre quand il serait loin d’ici, le décrire sous tous les angles, le contempler de nouveau chaque fois qu’il en aurait envie.

La Tour de Londres, où étaient emprisonnés les ennemis du roi, les traîtres et les conspirateurs. Peut-être Ethan Allen était-il enfermé dans les oubliettes du château.

Père, si tu pouvais me voir, pensa Peter. D’abord en présence de Sa Majesté. Maintenant dans un lieu sorti des fables que tu me racontais quand j’étais enfant, la demeure des souverains et des chevaliers.

Il pensa aussi à sa mère, à la fierté qu’elle éprouverait en le sachant là, dans le carrosse d’un aristocrate anglais qui l’escortait en visite à la Tour.

Le carrosse parcourait le périmètre de la forteresse et Lord Warwick montrait à Peter les détails de la construction. Le comte faisait ostentation de familiarité sans être envahissant. Parvenus à la hauteur de l’esplanade latérale, ils admirèrent l’ensemble d’uniformes rouges et d’étendards. C’était Peter qui avait exprimé le désir de voir une parade de la Garde Royale et Warwick l’avait volontiers contenté. C’était la récompense pour son extraordinaire exhibition en présence du roi.

La parfaite géométrie du dispositif, les mouvements synchronisés, pas un pas déplacé. Les soldats marchaient comme s’ils n’étaient qu’une seule chose, ils étaient le rappel direct à l’ordre qui dirigeait l’Empire. Peter sourit, en pensant au ramassis de va-nu-pieds qu’il avait affrontés dans les forêts canadiennes. Devant cette merveilleuse compacité, le Goliath américain était un gnome. Il observa la manœuvre par la fenêtre et pensa que ces soldats à l’uniforme écarlate ne laisseraient pas d’issue aux rebelles. Il suffisait que le roi George les expédie outre-océan et la révolte finirait bien vite.

Tandis que les unités rentraient à la caserne, le comte fit remarquer à Peter l’angle des décapitations. “Le coin du bourreau”, le définit-il en ricanant pour lui-même, mais son visage s’obscurcit tout de suite et il ajouta une considération amère sur le fait qu’il pouvait arriver à n’importe qui de poser la tête sur le billot, même aux rois et aux reines. Il toucha du bois d’un geste théâtral et recommença à parler sur un ton persuasif, en égrenant les noms des personnages célèbres qui, en ce lieu, avaient bénéficié des services du bourreau. Peter ne se rappelait aucun mais la vision des têtes qui roulaient entre ses pieds le fit frissonner.

Le carrosse ralentit avant de s’arrêter et tous deux descendirent se promener sur le quai devant la forteresse. Le vent fit claquer le foulard du comte. Warwick l’arrangea sous le collet de la veste. Peter pensa que le gonflement sur le sternum lui donnait l’air d’un poulet qui se rengorge.

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