L'oeil en feu by Cartarescu Mircea

L'oeil en feu by Cartarescu Mircea

Auteur:Cartarescu Mircea [Mircea, Cartarescu]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature générale
Éditeur: Denoël & D'ailleurs
Publié: 2014-09-10T23:18:07+00:00


19

La maison, bâtie en croix, était à l’intérieur aussi haute qu’une église. Ce qu’on prenait à l’extérieur pour un étage était en réalité le prolongement à la verticale des pièces du rez-de-chaussée, allongées comme une tour de clocher. Deux couloirs se croisaient, un peu au-delà du milieu. Le plus court menait à des pièces pour l’instant masquées par des tentures de velours. Le plus long conduisait de l’entrée à une large niche abritant un socle de pierre polie. Devant, deux coussins de soie fleurie. Dessus, sous les plissés d’un drap, une forme qui devait être une statue. Herman suivait les deux femmes, si semblables et pourtant absolument différentes, dans l’étroit couloir où des moisissures mouchetaient le papier peint. Dans la niche, les murs ronds avaient la blancheur et la nudité d’un réceptacle de porcelaine. La morne mosaïque du sol était tellement lisse que le lointain plafond et son lustre se reflétaient dans sa surface miroitante. La mère de Soile se tourna vers Herman. « Vous ne nous en voudrez sans doute pas si nous sacrifions à un petit rite quotidien avant d’aller goûter une cuillerée de confiture. » Sans attendre sa réponse, en vérité comme s’il n’était plus là, les deux femmes s’agenouillèrent sur les coussins avant de dévoiler la forme cachée sous un drap de satin jaune. C’était en effet une statue. Stupéfiante. Une femme de marbre grandeur nature, dont les fortes cuisses, coupées en deux sous le pubis, reposaient directement sur le socle. Son visage exprimait une terreur sans nom. Elle étendait les bras devant elle, les doigts écartés, pour se protéger contre quelque chose de monstrueux que seuls pouvaient voir ses yeux arrondis par l’épouvante. Ses seins en poire divergents, ses épaules fuyantes n’évoquaient pas un modèle antique, mais une femme réelle pareille à tant d’autres, cueillie dans la rue, déshabillée et obligée de poser pour le sculpteur génial et scélérat qui avait représenté dans le marbre chaque pli de son ventre, chaque éphélide de sa peau, chaque épi et chaque boucle de ses cheveux à la coupe simple, retenus par un peigne au-dessus de la nuque. L’air terrifié, elle inspirait à son tour, en raison d’une mutilation atroce, une horreur indicible, dont Herman fut frappé aussitôt. Privée de paroi abdominale, elle exhibait, tel un moulage anatomique, son appareil reproducteur aux couleurs vives, la chair gorgée de sang, les artères pourpres, les tissus nacrés, jurant avec le blanc froid, luisant, immaculé, du reste de la statue. L’utérus était sectionné pour montrer l’enfant complètement développé, blotti la tête en bas, qui le remplissait comme un fruit lourd, merveilleux. Le vagin descendait en dessous, entre la vessie et le rectum, et s’achevait en une vulve qui paraissait elle aussi vivante : les lèvres froncées pendaient un peu sous le ventre, entre les cuisses où frisottaient quelques poils. On croyait deviner, sous une fine couche minérale, une femme vivante, condamnée à une pétrification éternelle et à une grossesse sans fin. Herman se souvint, bouleversé : « Les enfants sont près de sortir du sein maternel, et il n’y a point de force pour l’enfantement.



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