Les jours de mon abandon by Ferrante Elena

Les jours de mon abandon by Ferrante Elena

Auteur:Ferrante, Elena [Ferrante, Elena]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
Éditeur: folio
Publié: 2016-07-15T03:00:00+00:00


20

J’arrivai au pied de l’ascenseur comme si j’avais marché sur un fil tendu entre le bosquet de pins et l’entrée de mon immeuble. Je m’appuyai à la cloison métallique tandis que la cabine montait lentement, je fixai Otto du regard pour le remercier. Il avait les pattes légèrement ouvertes, il haletait, un fil de bave très mince coulait de sa gueule pour finir par dessiner un gribouillis sur le plancher de l’ascenseur. En s’arrêtant, la cabine se cabra.

Je trouvai Ilaria sur le palier, elle me parut très contrariée, comme si ma mère était revenue du royaume des morts pour me rappeler à mes devoirs.

« Il a de nouveau vomi », me dit-elle.

Elle me précéda à travers la maison, suivie par Otto que je libérai de sa laisse. Aucune odeur de lait brûlé, de café. Je m’attardai pour refermer la porte, j’enfilai mécaniquement la clef dans le trou de la serrure, je refermai à double tour. Ma main s’était désormais habituée à faire ce mouvement qui devait empêcher quiconque de pénétrer chez moi pour fouiller dans mes affaires. Je devais me protéger de ce qui faisait tout pour m’accabler d’obligations, de fautes et m’empêchait de recommencer à vivre. Le soupçon voulant que mes enfants entendaient eux aussi me convaincre que leurs chairs se fanaient par ma faute, rien qu’à respirer le même air que moi, tout à coup me fulgura. Le malaise de Gianni servait à cela. Il le mettait en scène, Ilaria me le mettait, pour sa part, sous les yeux non sans un malin plaisir. De nouveau des vomissements, bien, et alors ? Ce n’était pas la première fois, ce ne serait pas la dernière. Tout comme son père, Gianni avait l’estomac fragile. Ils souffraient tous deux du mal de mer, ils étaient également malades en voiture. Il suffisait d’une gorgée d’eau froide, d’un morceau de tarte trop riche en matières grasses, et ils étaient malades. Sait-on ce que le petit garçon avait mangé en cachette, afin de me compliquer la vie, de rendre ma journée plus insupportable encore.

Je trouvai de nouveau sa chambre en désordre. Maintenant, tel un nuage, les draps sales se trouvaient amoncelées dans un recoin et Gianni était revenu s’allonger sur le lit d’Ilaria. Le petite fille s’était substituée à moi. Elle s’était comportée comme je me comportais avec ma mère lorsque j’étais une enfant : elle avait cherché à faire ce qu’elle m’avait vu faire, elle était en train de jouer à se débarrasser de mon autorité en se substituant à moi, elle voulait prendre ma place. J’étais généralement accommodante, ma mère ne l’avait, quant à elle, jamais été. Chaque fois que j’essayais de faire ce qu’elle faisait, elle me grondait, elle me disait que j’avais mal fait ce que j’avais fait. Peut-être était-ce elle qui était en train d’agir personnellement à travers la petite fille pour m’écraser en révélant toute mon insuffisance. Ilaria m’expliqua, comme si elle voulait m’inviter à entrer dans un jeu dont elle se tenait pour la reine :

« J’ai mis là les draps sales et je l’ai fait s’étendre sur mon lit.



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