Les cycles de la révolte (fév 2024) by Brina Svit

Auteur:Brina Svit [Svit, Brina]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Epreuves Gallimard
Publié: 2023-10-17T12:57:28+00:00

23

J’aurais dû m’asseoir et prendre une bière avec lui, une troisième et même une quatrième, pourquoi pas… J’aurais dû accepter de manger quelque chose, simplement, sans manières, sans tergiverser, d’autant plus que je commençais à avoir faim. Et surtout, surtout… j’aurais dû lui laisser ce téléphone.

Voilà ce qu’elle se répète plus tard quand elle éteint la lumière et cherche à s’endormir. Car ce maudit appareil, même éteint, même caché sous le lit, est le dernier fil qui la relie encore à François : s’il veut, il peut toujours l’appeler ou lui envoyer un message.

Mais pourquoi, tête dure, le ferait-il ?

Parce qu’il lui arrive encore de penser à elle, ne serait-ce que quand il met sa chemise bleue avec de minuscules fleurs blanches, celle qu’elle lui a offerte pour son anniversaire, le dernier qu’ils ont fêté ensemble : quand il met sa chemise bleue, car il doit continuer à la mettre, c’était sa préférée, celle qui lui allait le mieux, il ne peut pas ne pas penser à elle. Ou quand il passe devant le miroir ovale dans l’entrée de son appartement – et il y passe au moins deux fois par jour – il ne peut pas non plus ne pas se rappeler l’histoire de ce miroir, et quelle histoire, pour elle, en tout cas, qui l’a trouvé chez un brocanteur de son quartier et a réussi à l’acheter même s’il était déjà vendu, l’a apporté chez lui, les yeux brillants, et a voulu l’installer tout de suite, sans attendre, à cette place où il est encore aujourd’hui. Ou quand il boit son café le matin, pareil, c’est forcément dans une des tasses qu’ils ont achetées ensemble. Ou quand il va sur son balcon et qu’il arrose ses plantes, il doit bien arroser aussi toutes celles qu’elle lui a apportées, non ?

Et elle pourrait continuer avec la grande toile dans son salon, ou les dessins d’une artiste norvégienne, amie de Sigrid, qu’elle lui a offerts, ou les deux coupes à champagne, celles qu’ils prenaient avec eux quand ils allaient dormir à l’hôtel pour se faire une soirée de gala à deux. Ou simplement en passant devant ce même hôtel. Ou tous les autres endroits dans Paris, le feu rouge sur l’avenue Daumesnil où ils se sont embrassés la première fois, les restaurants qu’ils ont découverts ensemble, le café allemand où ils avaient leurs habitudes, les tilleuls sous lesquels ils se promenaient rituellement au mois de mai…

Mais ce n’est pas une question d’objets, d’œuvres d’art, de plantes ou d’endroits à Paris qui sont tous d’une manière ou d’une autre liés à eux et font partie de leur géographie intime.

Elle, de son côté, n’a rien de lui ici, elle est à mille deux cent cinquante kilomètres de tous ces lieux qui ont été à eux, et pourtant elle n’arrête pas de penser à lui, même quand elle ne le veut pas, enfin, la plupart du temps, elle ne le veut pas, comme ce soir, non, non, non, elle veut s’endormir et oublier.

Alors soudain, elle sait ce qu’il faut faire.

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