Le royaume des trois, tome 1 : La joueuse de cithare by Joan He

Le royaume des trois, tome 1 : La joueuse de cithare by Joan He

Auteur:Joan He
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fantastique, Historique
Éditeur: Lumen
Publié: 2023-02-09T00:00:00+00:00


Je me rappelle les jours. Les années : quarante mille, depuis l’instant de ma genèse jusqu’à celui où j’ai été chassée du ciel.

Tout est vrai. La Mère aux mille visages, impératrice de toutes les divinités, a scellé mes souvenirs de déesse et m’a bannie dans le monde des humains parce que j’ai fait une blague douteuse. J’en ai fait beaucoup, maintenant que j’y pense. J’étais ivre lorsque j’ai lancé un pari à une autre divinité : soulever les vents les plus forts… à coups de flatulences par-dessus le bord du ciel.

Vraiment douteuse, je sais. Impulsive même. Pire encore, Zéphyr la vraie déesse n’en avait rien à faire des mortels d’en bas. Il ne lui est pas venu à l’esprit que ses vents allaient provoquer un fléau, et ce fléau, une famine, l’une de celles qui ont frappé le règne de Xin Bao.

Quand les gardes du Palais céleste sont venus me chercher, Nadir a plaidé l’accident. Mais l’humilité n’était – n’est – pas l’un de mes points forts. Je n’avais pas envie qu’on me connaisse comme Zéphyr la Meurtrière accidentelle. Alors j’ai avoué ma faute et j’ai attendu ma punition. En général, les divinités prises en faute étaient enchaînées à l’obélisque des mes et foudroyées à plusieurs reprises.

Mais au lieu de m’infliger ce châtiment, la Mère aux mille visages m’a fait descendre en dessous des nuages d’orage des cieux inférieurs. Dans le monde des mortels.

Nous nous sommes matérialisées entre les quatre murs exigus d’une pièce sombre où régnait une puanteur atroce. Je suis restée en retrait lorsque la Mère aux mille visages s’est avancée. Deux petites filles étaient allongées sur une natte, toutes deux jeunes, mais l’une un peu plus que l’autre. Toutes deux étaient affamées, mais l’une semblait plus proche de la mort que l’autre.

— Reviens, a chuchoté la plus jeune, qui était aussi la moins proche de la mort.

C’était Kou.

— Reviens. Reviens.

Elle ne cessait de me fixer pendant tout ce temps, comme si elle pouvait me voir. C’était déconcertant. Le ch’i d’une divinité est censé être trop pur pour que des yeux mortels puissent le percevoir.

Puis j’ai remarqué l’esprit entre nous. Une âme mortelle à l’image de la jeune fille qui était déjà partie. En termes humains, un spectre. Je pouvais la voir, à l’instar de sa cadette, semblait-il. Sans que je sache trop comment. Je voulais demander à la déesse suprême l’explication d’un tel prodige. Peut-être l’aurais-je su si j’avais pris le temps de m’intéresser aux êtres qui peuplaient la terre, à l’instar de Nadir. Aimant les êtres humains, elle avait jadis donné vie à ses figurines d’argile et les avait utilisées pour peupler le monde des mortels, à l’époque où il était jeune et où les dieux pouvaient encore le modeler.

Mais, à l’évidence, je n’étais pas du tout comme ma sœur, et l’impératrice de toutes les divinités ne m’a pas laissé la possibilité de lui poser ma question.

— Vois l’une des âmes que tu as éteintes, m’a-t-elle ordonné en regardant le cadavre de la jeune fille sans se soucier de son esprit qui s’attardait.



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