Le Nom de la rose (autre version) by Eco Umberto

Le Nom de la rose (autre version) by Eco Umberto

Auteur:Eco, Umberto [Eco, Umberto]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman Policier historique
Éditeur: Grasset & Fasquelle
Publié: 2011-11-26T00:52:12+00:00


Quatrième jour

TIERCE

Où Adso se débat dans les peines d’amour,

puis arrive Guillaume avec le texte de Venantius,

qui continue de rester indéchiffrable,

même après avoir été déchiffré.

En vérité, passé ma rencontre coupable avec la jeune fille, les autres terribles événements m’avaient presque fait oublier cette aventure, et par ailleurs, sitôt après m’être confessé à frère Guillaume, mon âme s’était soulagée du remords ressenti à mon réveil qui suivit ce fautif fléchissement, tant et si bien qu’il m’avait semblé remettre au frère, en paroles, le fardeau même que les mots signifiaient. A quoi sert en effet la bienfaisante purification de la confession, sinon à décharger le poids du péché, et du remords qu’il comporte, dans le sein même de Notre Seigneur, en obtenant, avec le pardon, une nouvelle aérienne légèreté de l’âme, à en oublier le corps supplicié par l’infamie ? Mais je ne m’étais pas libéré de tout. Maintenant que je déambulais au pâle et froid soleil de cette matinée hivernale, entouré de la ferveur des hommes et des animaux, je commençais à me souvenir des événements passés de façon différente. Comme si de tout ce qui était arrivé ne restaient plus le repentir et les paroles consolatrices de la purification pénitentielle, mais seules des images de corps et de membres humains. Surgissait devant mon esprit surexcité, le fantôme de Bérenger gonflé d’eau, et je frissonnais d’horreur et de pitié. Puis comme pour mettre en fuite ce lémure, mon esprit s’adressait à d’autres images dont la mémoire fût le frais réceptacle, et je ne pouvais éviter de voir, évidente à mes yeux (aux yeux de l’âme, mais comme si elle apparaissait presque aux yeux de la chair), l’image de la jeune fille, resplendissante et redoutable comme des bataillons prêts à l’assaut.

Je me suis promis (vieux copiste d’un texte jamais écrit jusques alors mais qui pendant de longues décennies a parlé dans mon esprit) d’être chroniqueur fidèle, et non pas seulement par amour de la vérité, ni pour le désir (d’ailleurs fort digne) d’instruire mes lecteurs futurs ; mais en outre pour libérer ma mémoire flétrie et lasse de visions qui, durant toute une vie, l’ont tourmentée. Et donc je dois dire tout, avec décence mais sans honte. Et je dois dire, à présent, et en toutes lettres, ce qu’autrefois je pensai et tentai presque de me cacher à moi-même, en me promenant à travers le plateau, en me mettant parfois à courir afin de pouvoir attribuer au mouvement du corps les palpitations soudaines de mon coeur, en m’arrêtant un instant pour admirer l’ouvrage des vilains et en imaginant me distraire à les contempler, en inspirant l’air froid à pleins poumons, comme qui boit du vin pour oublier peur et douleur.

En vain. Je pensais à la jeune fille. Ma chair avait oublié le plaisir, intense, coupable et passager (vile chose) que m’avait donné mon union avec elle ; mais mon âme n’avait pas oublié son visage, et n’arrivait pas à sentir comme pervers ce souvenir, elle en frémissait plutôt, comme si en ce visage resplendissaient toutes les douceurs de la création.



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