Le Grand Santini by Pat Conroy

Auteur:Pat Conroy [Conroy, Pat]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782266188241
Éditeur: Pocket

Décoré de fleurs et de banderoles de couleurs vives, le mess bruissait des conversations, des rires des pilotes et de leurs épouses venus célébrer le cent quatre-vingt-septième anniversaire du Marine Corps. Des compositions d’œillets et de chrysanthèmes embaumaient l’atmosphère, et leur parfum se combinait à celui des femmes et à la sueur des premiers danseurs. Ces ornements conféraient à la vaste salle une ambiance qui avait quelque chose de manifestement lascif et primitif. Contre le mur derrière la table d’honneur, on avait disposé un treillis de trois mètres de haut tressé de roses et de fougères. Une musique légère et aérienne flottait dans les airs, tandis que les marines se rassemblaient sous un éclairage tamisé, faisant parade devant leurs pairs de leur épouse étincelante. Ces dames avaient des coiffures très hautes, que l’on voyait dépasser çà et là de la foule des casquettes. Les cils et faux cils papillonnaient, les glaçons tintaient dans de grands verres à cocktail. C’était la célébration du mythe et du souvenir, la soirée des robes bruissantes, des longues danses et de l’éthylisme prononcé. Une nuit d’orgueil et de fierté pour les plus redoutables guerriers de la planète, qui faisaient le beau dans leur tenue blanche comme des oiseaux de proie subitement gratifiés d’un plumage voyant.

En élégante robe du soir, chaque femme de pilote restait accrochée au bras de son mari et lui faisait faire un tour de salle afin de n’omettre aucune courtoisie, de s’assurer que tous les hommages fussent bien présentés aux officiers supérieurs et à leur épouse, personnes capables de faire ou de briser une carrière. Cela fait, les couples revenaient vers les longues tables où chaque escadrille siégeait derrière son emblème, pour se verser à boire, rire un peu et se laisser lentement gagner par l’esprit de la soirée.

Lillian se tenait au centre d’un important groupe d’épouses de la 367.

Elle prenait plaisir à son rôle de confidente des plus jeunes et à l’envie que cela inspirait à celles de son âge. Tout en menant la conversation à travers de petits moutonnements rhétoriques, elle considérait tour à tour « ses copines » ; à des signes qu’elle savait lire, elle aurait pu les ranger en différentes catégories. Les golfeuses présentaient un hâle sombre, hors de saison, et l’air indifférent de femmes qui avaient trop de fois parcouru leurs neuf trous quotidiens pour refréner l’impatience que leur inspirait l’exil dans ces petites villes où les marines construisaient leurs bases. Lillian voyait aussi des femmes qui souriaient ou buvaient trop ; celles-là avaient reçu de leur mari l’ordre de prendre du bon temps. Il y avait celles qui la serraient de près, riaient à chacune de ses plaisanteries et accédaient à tous ses caprices, et elle savait qu’il s’agissait là d’épouses ambitieuses, soucieuses de l’élévation en grade de leur mari. Il y en avait bien d’autres, qui, elles, ne se rangeaient pas commodément dans telle ou telle catégorie ; celles-là s’entendaient en effet à dissimuler les signes de leur satisfaction ou de leur mécontentement. Quelle

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