Le Cercle Littéraire Des Amateurs D'épluchures De Patates by Shaffer Mary

Auteur:Shaffer, Mary [Shaffer, Mary]
La langue: eng
Format: epub
Tags: Roman, Littérature étrangère
Publié: 2011-06-26T20:02:33+00:00

Juliet

De Juliet à Sophie

1er mai 1946

Très chère Sophie,

J’aimerais tant que tu sois ici. Je voudrais que nous habitions toujours ensemble, dans notre adorable studio, que nous soyons toujours employées par ce cher Mr. Hawke, et que nous dînions de biscuits salés et de fromage tous les soirs. J’ai tellement besoin de te parler. Je voudrais que tu me dises si je dois ou non épouser Mark Reynolds.

Il m’a fait sa demande hier soir. Je n’ai pas eu droit au genou à terre, mais à un diamant gros comme un œuf de pigeon et à un restaurant français des plus romantiques. Remarque, il se peut qu’il ne veuille déjà plus m’épouser à l’heure qu’il est. Il est furieux. Il s’attendait à un oui clair et net J’ai essayé de lui expliquer que je ne le connaissais pas assez, que j’avais besoin de temps pour réfléchir, mais il n’a rien voulu entendre. Il est persuadé que je l’ai rejeté parce que je nourris une passion secrète... pour Sidney ! Ils sont vraiment obsédés l’un par l’autre, ces deux-là.

Dieu merci, nous étions dans son appartement quand il s’est mis à pester contre Sidney, les îles du bout du monde et les femmes qui s’intéressent davantage à un tas d’étrangers qu’aux hommes qu’elles ont devant elles. J’ai défendu mes positions, il a continué à gronder, et j’ai fini par verser des larmes de frustration. Là, il a ressenti quelques remords. Cela lui ressemble si peu que j’ai même failli accepter de l’épouser. C’est alors que je me suis représenté une vie passée à sangloter pour obtenir un peu de gentillesse, et le non a repris le dessus. Nous avons discuté, il m’a sermonnée, j’ai encore sangloté – d’épuisement, cette fois –, et il a fini par appeler son chauffeur pour qu’il me reconduise chez moi. Il m’a mise dans la voiture, il s’est penché pour m’embrasser, et il m’a dit : « Tu es une idiote, Juliet. »

Il a peut-être raison. Tu te souviens de ces épouvantables romans de Cheslayne Fair que nous avons dévorés l’été de nos treize ans ? J’adorais Le Maître de Blackhead. J’ai dû le lire une vingtaine de fois (et je sais que toi aussi, inutile de prétendre le contraire). Tu te souviens de Ransom, qui refoulait si virilement ses sentiments pour la tendre Eulalie, afin de ne pas influencer son choix ? Il ignorait quelle était folle de lui depuis l’âge de douze ans, quand il l’avait aidée à se relever d’une chute de cheval. Eh bien, Mark Reynolds ressemble trait pour trait à Ransom, Sophie. Il est grand, séduisant, il a la mâchoire taillée à la serpe et un sourire en coin. Il fend la foule en jouant des épaules, indifférent aux regards qu’il attire. Il est impatient, il possède un charme magnétique, et, quand je vais me repoudrer le nez, je surprends des femmes en train de parler de lui. Tout le monde le remarque, c’est ainsi.

Ransom me faisait fondre. Et Mark aussi, parfois. Mais je n’arrête pas de me répéter que je ne suis pas Eulalie.

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