L'automne du patriarche by Garcia Marquez Gabriel

L'automne du patriarche by Garcia Marquez Gabriel

Auteur:Garcia Marquez, Gabriel [Garcia Marquez, Gabriel]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Colombienne
Éditeur: Larouquine - TAZ
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


V

Peu avant la tombée de la nuit, au moment où nous finissions de débarrasser les salles des carcasses de vaches rongées par les vers et de mettre un peu d’ordre dans ce fabuleux capharnaüm, nous n’avions pas encore réussi à redonner au cadavre l’aspect de sa légende. Nous l’avions gratté avec des couteaux à écailler le poisson pour lui enlever ses rémoras de fonds marins, nous l’avions lavé au crésyl et aux cristaux pour éliminer les marbrures de la putréfaction, nous lui avions poudré le visage avec de l’amidon pour cacher les rapiéçages d’étoupe et les coulées de paraffine grâce auxquels nous avions pu rabibocher son visage picoré par des oiseaux de fumier, nous lui avions rendu la couleur de la vie à coups de fard et de rouge à lèvres, mais même les yeux de verre incrustés dans les orbites vides n’arrivaient pas à lui imposer la mine autoritaire qui lui manquait pour être exposé à la contemplation des foules. Entre-temps, dans la salle du conseil ministériel nous invoquions l’union de tous contre le despotisme immémorial pour nous partager en lots égaux le butin de son pouvoir, car tous étaient revenus attirés par la nouvelle secrète mais irrépressible de sa mort, libéraux et conservateurs étaient revenus réconciliés autour d’un même âtre d’espoir après tant d’années d’ambitions frustrées, revenus aussi les généraux du haut commandement qui avaient perdu l’orient de l’autorité, les trois derniers ministres civils, le primat, tous ceux qu’il aurait voulu voir au diable étaient assis autour de la longue table de noyer essayant de se mettre d’accord sur la façon de divulguer la nouvelle de cette mort colossale si l’on désirait éviter l’explosion prématurée des foules dans la rue, d’abord un premier bulletin au cours de la nuit concernant une légère complication de santé qui avait obligé à annuler les engagements et les audiences civiles et militaires de son excellence, puis un deuxième bulletin de santé annonçant que l’illustre malade s’était vu contraint de rester dans ses appartements privés à la suite d’un malaise propre à son âge, et enfin, sans annonce préalable, le glas brutal des cloches de la cathédrale dans l’aube radieuse de ce chaud mardi d’août proclamant une mort officielle dont personne ne pourrait jamais savoir de source certaine s’il s’agissait bien de la sienne. Nous nous trouvâmes désarmés devant cette évidence, engagés envers un corps malodorant que nous n’étions pas capables de remplacer en ce monde car il avait refusé durant l’époque sénile de sa présidence de prendre aucune décision déterminant le destin de la patrie après sa mort, il avait résisté avec un entêtement inexorable de vieillard à toutes les suggestions qu’on lui avait faites depuis que le gouvernement s’était transporté dans les édifices aux vitres chatoyantes des ministères et qu’il était resté seul dans la maison déserte de son pouvoir absolu, nous le rencontrions perdu dans ses rêves, nageant parmi les saccages des vaches et n’ayant personne à qui commander n’étaient les aveugles, les lépreux et les paralytiques qui ne mouraient



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