La Société des rêveurs involontaires by José-Eduardo Agualusa

La Société des rêveurs involontaires by José-Eduardo Agualusa

Auteur:José-Eduardo Agualusa [Agualusa, José-Eduardo]
La langue: fra
Format: epub
Tags: A_Poster, Littérature Angolaise
Éditeur: Métailié
Publié: 2019-02-20T23:00:00+00:00


18

Domingos Perpétuo Nascimento a des yeux verts, très clairs. Dans une ville comme Luanda un métis aux yeux verts grandit entouré de certains privilèges. C’était comme ça à l’époque coloniale et c’est toujours comme ça aujourd’hui. Au lycée, il a très certainement eu les plus jolies filles comme petites amies. Il était invité à toutes les fêtes. Ce qui explique l’assurance avec laquelle il regarde le monde et les autres. La fermeté de ses convictions. Il était là, à la rédaction du Pensamento Angolano, au Quinaxixe, assis devant moi, les jambes croisées, cigarette aux lèvres, avec la placidité discrète d’un champion de tir.

– J’ai bien aimé l’article que vous avez écrit sur moi, dit-il. Vous m’avez l’air de quelqu’un d’honnête. J’ai appris que vous aviez écrit un autre article sur un avion, un Boeing 727, qui a disparu de l’aéroport de Luanda en 2003.

– Oui, l’avion n’a jamais été retrouvé…

– Vous vous souvenez du nom du pilote ?

– Oui.

– Charles Padilha.

– Oui, Charles Padilha, un Américain. Pourquoi me demandez-vous ça ?

– Il a disparu avec un mécanicien. Vous vous souvenez du nom du mécanicien ?

– Non, je me souviens seulement qu’il était angolais…

– Il n’était pas angolais, non. Il était congolais. Il s’appelait, ou plutôt, il s’appelle, Jean Mpuanga. Un bon mécanicien. Je l’ai rencontré il y a quelques jours.

– Vous l’avez rencontré ?! Où ça ?

Domingos Perpétuo Nascimento écrasa sa cigarette dans le cendrier. Il eut l’air heureux de ma surprise. Comme tous les bons raconteurs d’histoires, il garda le silence un long moment, en souriant doucement, savourant son triomphe. Il dit enfin :

– À Recife.

– Au Brésil ?

– Oui. Vous voyez, je suis entré à la TAAG en 2000. J’ai fait la connaissance de Mpuanga, j’ai sympathisé avec lui. Un type pas banal. Il aimait lire. Il lisait beaucoup. Des livres en français avec des titres très longs. On jouait au foot parfois. Je suis même allé chez lui manger un mufete. Un très bon mufete, d’ailleurs. Sa femme était du Dondo. Elle savait faire griller le poisson. Cacusso. Un cacusso authentique. Ah, et les haricots à l’huile de dendé ! Rien que d’y penser, j’en ai l’eau à la bouche. Je poursuis : il y a deux semaines, à Recife, je suis entré dans un bar pour boire une bière et le muadié était là, assis dans un coin, quinze années plus vieux, mais avec le même sourire de toujours. Il a un sourire un peu de travers, comme s’il avait eu un AVC.

– Ils ont volé l’avion ?

– Je ne sais pas.

– Vous ne savez pas ?

– Je n’en ai pas la moindre idée.

– Vous ne le lui avez pas demandé ?

– Non. Je ne suis pas flic. Je ne suis pas journaliste. Je lui ai juste demandé ce qu’il faisait là et il m’a dit qu’il était l’associé de Charles. Il a une affaire d’avions-taxis.

– Une affaire d’avions-taxis ?!

– Oui, ils sont riches, mais Mpuanga garde des habitudes simples. Tous les après-midi aux alentours de six heures, il va dans ce bar boire une caipirinha et lire les journaux.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.