La Mort de Carlos Gardel by Lobo Antunes Antonio

La Mort de Carlos Gardel by Lobo Antunes Antonio

Auteur:Lobo Antunes, Antonio [Lobo Antunes, Antonio]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Portugaise
Éditeur: La Gang©
Publié: 2015-05-30T22:00:00+00:00


CLAUDIA

* * *

JE N’EN AI parlé à personne au travail, je n’ai rien dit à Ricardo et à l’heure du déjeuner, au lieu de descendre avec eux au restaurant juste à côte du bureau, je me suis excusée

— Je dois faire un saut à la pharmacie, allez-y, je vous rejoins

l’agence de voyages était un long magasin avec des secrétaires, des gens qui téléphonaient, des affiches, une femme qui levait des yeux contrariés d’un amoncellement de papiers, qui posait sa cigarette

— Pour l’Allemagne ?

dans le restaurant, à la table à côté de la cuisine, il y avait une chaise vide entre le chef de service et Ricardo, des assiettes de l’Alentejo au mur, une horloge ancienne, un pot de fleurs et un lièvre empaillé dans une niche, les collègues avaient tombé la veste, retroussé leurs manches, desserré leur cravate, ils tendaient leur fourchette vers les plats, bavardaient, riaient, c’était comme si je prenais congé de tous, disais adieu à tout, et la femme, qui avait des bagues presque à chaque doigt, en cherchant une cigarette à l’aveuglette, sans comprendre

— Un aller retour vous reviendrait moins cher

des machines à écrire électriques, des horaires d’avion, un mélange de parfum, une agitation nonchalante, je suis sortie en rangeant une enveloppe dans mon sac, le quai du Sodré était couronné de mouettes, Dès demain je cesserai de voir ça, j’ai marché une trentaine de mètres sous des nuages bas, j’ai poussé la porte et là, dans un fumet de ragoût, j’ai retrouvé les discussions des collègues, les blagues, les anecdotes, les serveurs qu’on appelait par leur prénom, la timidité de Ricardo, ma voix, comme si ce n’était pas la mienne

— Je veux juste un aller simple, je n’ai pas l’intention de revenir

la femme s’est immobilisée avec un clignement de paupières, Elle est folle, j’ai ôté la serviette en papier posée dans l’assiette, j’ai fait semblant de lire le menu que je connaissais par cœur, et aux regards obséquieux qui attendaient ma commande

— Je n’ai pas faim, apportez-moi un café

mais ce n’était pas seulement le menu que je connaissais par cœur, c’était la tête des gens, leurs gestes, leur façon de décortiquer les olives, de courber le dos, le vieux chauve, toujours vêtu de bleu, extasié devant une petite jeune fille, les quatre employées modestes, conspirant, le regard en coin, avec de sempiternels chuchotis, l’homme solitaire qui lisait des revues d’économie en allumant un cigare, et la femme, stylobille sur l’écran

— Un Cologne à quinze heures trente avec escale à Barcelone, ça vous va ?

un foulard en soie autour du cou cachait ses rides, une toux de corbeau lui secouait la poitrine, elle m’avait indiqué un siège devant elle mais je restais debout, de peur de perdre courage si je m’asseyais, de peur de dire

— Je reviendrai un autre jour

les maisons, le restaurant, les gens me semblaient différents, comme si je ne les connaissais pas, comme si j’étais malade, ou loin, ou morte, comme si je rêvais, on parlait et je n’entendais rien, on me touchait



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