La grande muraille by Claude Michelet

La grande muraille by Claude Michelet

Auteur:Claude Michelet [Michelet, Claude]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 2.266.01318-1
Éditeur: Robert Laffont
Publié: 1981-01-01T05:00:00+00:00


VII

PAR un après-midi brumeux et froid de décembre 1925, Firmin interrompit son travail en entendant sonner le glas.

— Et alors, qui est mort ? dit-il tout haut.

Il répertoria tous les vieillards du bourg mais ne parvint pas à mettre un nom sur celui dont on annonçait le départ.

— Quand même, ils m’auraient bien prévenu si c’était la tante ! Il eut cependant un doute.

— M’auraient prévenu, ouais, pas sûr… Ils penseront à tout le monde et moi ils m’oublieront !

Il décida d’aller au village pour en avoir le cœur net.

— Là au moins je finirai par savoir qui est mort !

Il l’apprit avant même d’arriver aux Landes, en passant devant le presbytère. Il en ressentit une grande tristesse, mais aussi beaucoup de colère. Le vieux curé était mort et il n’en avait rien su. Personne ne lui avait seulement soufflé mot du déclin du vieillard. Maintenant, il était parti et Firmin qui avait ignoré son agonie n’avait pas pu lui dire adieu. Il fendit le groupe de dévotes qui caquetaient devant le presbytère et entra.

Le vieillard était décédé depuis une heure à peine. Il reposait sur son grand lit de bois qu’une femme, encore plus âgée que le défunt, finissait d’apprêter.

Firmin se signa gauchement. Il regarda le mort et songea que lui au moins ne l’avait jamais méprisé ni ignoré. Bien au contraire, car souvent le vieux curé l’appelait lorsqu’il l’apercevait et lui offrait, avec amitié, cinq ou dix minutes de conversation.

— Il y avait quelque temps que je l’avais pas vu, pensa Firmin, et il s’en voulut.

— Et vous, lança-t-il tout haut, vous pouviez pas me prévenir, non ?

La vieille bonne sursauta, le regarda avec crainte et mit son index sur la bouche.

— Chuuuut ! souffla-t-elle.

— Vieille carne, articula-t-il, ça lui aurait écorché la gueule d’adresser la parole à un fou ! Et l’enterrement ? demanda-t-il tout haut.

— Chuuut ! après-demain matin, chuchota la bonne.

Il regarda une dernière fois le corps puis, faisant demi-tour, se dirigea vers la porte.

— Je viendrai le veiller, dit-il avant de sortir, et si ça vous plaît pas, c’est le même prix ! Lança-t-il en s’adressant aux femmes qui jacassaient dehors. Il se campa devant elles et les dévisagea.

— Je parie, dit-il lentement, que vous l’avez laissé partir tout seul, hein ? Pardi ! Le pauvre vieux en savait trop sur votre compte à toutes, personne a voulu entendre ce qu’il pouvait avoir à dire, lui !

Il s’éloigna et les femmes, le voyant prendre la direction de son bois, hochèrent la tête avec de petits sourires pincés.

Après tout, ce n’était pas leur faute si le curé était mort seul… Il était mort en solitaire, entre midi et deux heures, pendant l’absence de sa vieille bonne qui, tous les jours à ce moment-là, s’esquivait subrepticement pour aller faire un brin de causette.

Firmin arriva lorsque la nuit tombait et s’installa dans la chambre mortuaire.

Il ne pria point, ce n’était pas dans ses habitudes. De plus, même en se forçant, il n’aurait pas su comment ni à qui adresser un essai de prière.



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