Au bagne by Albert Londres

Au bagne by Albert Londres

Auteur:Albert Londres [Londres, Albert]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Ebooks libres et gratuits
Publié: 2009-10-26T04:00:00+00:00


MARCHERAS L’AVENTURIER

J’allais sortir. Il était dix heures du soir. Quarante-deux forçats avaient défilé devant moi, sous cette véranda, l’après-midi. Je me sentais égaré dans une immensité de misères. Un quarante-troisième forçat apparut au sommet de l’escalier.

– Vous avec quelque chose à me dire ?

– Oh ! non, pas moi ! Mais vous voulez me voir, je crois ?

– Marcheras ?

– Marcheras.

Marcheras, présentement infirmier des îles du Salut.

Docteur, commandant, surveillants, assuraient qu’il était un « homme bien », une « personnalité intéressante ». À l’hôpital, son chef lui accordait une « confiance sans limite ».

Du forçat, il n’avait que la livrée. Il tenait son chapeau de paille tressée d’une main habituée aux meilleurs feutres. Sa tenue, ses propos, son sourire, ses silences étaient d’une élégance désabusée.

Nous voilà assis, chacun d’un côté de la table.

– Eh oui, fit-il, telle est la vie !

Il accepta une cigarette.

– Les bons, les mauvais, les brutes, les brebis perdues, nous tournons tous, ici, dans un cercle vicieux. Nous n’avons plus de boulets aux chevilles ; mais, sitôt que nous battons de l’aile pour nous élever, une corde invisible nous ramène au fond du trou. À part le feu, nous sommes bien les damnés que représentent les images catholiques.

« Entendez-moi. Je ne dis pas que je suis un saint. Mais je n’étais pas foncièrement mauvais quand j’accomplis mon premier voyage en Guyane (il sourit) à dix-huit ans ! J’avais tiré un coup de feu sans résultat et volé mille francs. Cela ne valait pas une pension de l’État, mais ce n’était qu’un geste. Mon âme, autour de cette tache d’un jour, restait blanche. Mais après quatre ans d’administration pénitentiaire, alors non ! je ne pouvais plus concourir pour un prix Montyon. Ah ! fit-il d’un ton d’administrateur, la Guyane devrait être un Eldorado. Songez que moi (il me désigne son matricule), je suis le 27.307. Un très vieux cheval ! On en est maintenant à 47.000. Cherchez une route, un chemin de fer, cherchez la trace du passage de quarante-sept mille blancs. On ne voit pas même leurs tombes. On aurait pu tout au moins élever une pyramide avec les ossements. C’eût été un souvenir !

« Le bagne n’est qu’une machine à faire le vide. Et cette machine coûte quatorze millions par an à la France.

« On ne peut pas commander au paludisme. Mais voyez pourtant, à Panama, à Colon. Allez à la Coutcha, à l’intérieur, où la fièvre jaune était latente, aujourd’hui, plus rien.

« Dans les bagnes des États-Unis, regardez…

– Vous avez voyagé ?

– Assez, il faut bien employer son temps d’évasion.

« Dans les bagnes des États-Unis, ce n’est pas la même chose. On couche en cellule, la nuit.

– Vous y êtes allé ?

– Oui, mais un peu comme vous ici. Lors de ma première évasion, j’ai tenu à faire la comparaison. J’avais obtenu toutes permissions. Je ne m’étais pas présenté, évidemment, mon matricule de Cayenne à la main. Mais aux États-Unis, des dollars, un fin rasoir, un bon tailleur vous font un gentilhomme en une matinée…

« On couche en cellule, donc pas de promiscuité.



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