La femme dans le miroir by Tran-Nhut Thanh-Van

La femme dans le miroir by Tran-Nhut Thanh-Van

Auteur:Tran-Nhut Thanh-Van [Thanh-Van, Tran-Nhut]
La langue: fra
Format: epub
Tags: - Divers
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


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Il était dix-neuf heures à ma montre. Je laissai tomber le carton de livres dans un coin du salon. Ma voisine, très loquace quand il s'agissait de discourir sur feu son mari, m'avait abreuvé des hauts faits de son existence. Passionné d'anatomie dès son enfance, curieux des rites mortuaires pratiqués dans différents pays, Édouard Hérembourg s'était spontanément tourné vers la thanatopraxie quand il lui avait fallu choisir un métier. Cette discipline lui permettait non seulement d'exploiter ses connaissances en anatomie humaine, mais aussi de faire appel à sa sensibilité esthétique très affûtée : M. Hérembourg était le maquilleur des morts, celui qui leur donnait une belle apparence de vie, alors qu'ils venaient de la quitter. D'une certaine façon, il les retenait un peu dans ce monde pour que leurs proches s'en détachent plus sereinement, il conduisait les morts dans l'au-delà avec douceur et élégance, rendant la séparation moins douloureuse, presque éthérée. Il lissait les rides de leur visage, ôtait les expressions de peine, rosissait une joue blafarde et poudrait une carnation trop vive. D'une injection de formol, il suspendait les ravages du temps, préservant momentanément les cellules d'une décomposition sans retour. Aux dires de sa veuve, M. Hérembourg était à la fois scientifique, artiste et prêtre...

En tout cas, pour sa part, l'homme avait bien vécu, si l'on en croyait son mobilier cossu et sa collection de vieux livres. Au demeurant, il n'avait pas laissé sa femme dans un honteux état de dénuement. Malgré ses cheveux blancs, Mme Hérembourg portait très bien ses tailleurs en tweed et ses rangs de perles. Elle avait dû être très belle dans sa jeunesse, comme l'attestaient ses traits fins que l'âge n'avait pas altérés. De quoi faire bonne impression sur M. Hérembourg, l'esthète qui n'avait pas les yeux dans sa poche.

Je ruminais tout cela en me préparant à sortir. Je n'avais jamais compté parmi mes connaissances un thanatopracteur ou sa femme. Dommage que l'homme ne soit plus de ce monde, cela aurait donné du piment aux conversations lors de la fête des Voisins. Chaque année, on avait droit aux rires hystériques du charcutier du premier étage, aux péroraisons des professeurs du deuxième et aux blagues grasses de la vieille fille du cinquième. Il aurait été plaisant, entre deux canapés au jambon, de parler des fluides de conservation.

Retenu par le bavardage de Mme Hérembourg, il fallait maintenant me dépêcher pour arriver à l'heure chez Lena. Quelle idée, une fête pour célébrer la fin de son projet ! Elle avait sans doute convié tout le personnel de son laboratoire, et on allait danser blouse blanche contre blouse blanche.

Je jetai un œil désabusé à mon image dans la glace de la salle de bains. Une barbe de deux jours me donnait un air de joli voyou ou de philosophe fou, selon l'interprétation. Les yeux fermés, j'y passai la main, me rappelant comment, autrefois, Emma me caressait la joue à rebrousse-poil et y laissait la chaleur d'un index coquin. J'imaginai son corps collé au mien, le bras passé autour



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