Journal de la guerre au cochon by Adolfo Bioy Casares

Journal de la guerre au cochon by Adolfo Bioy Casares

Auteur:Adolfo Bioy Casares [Adolfo Bioy Casares]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Livre de Poche N° 03074
Éditeur: Livre de Poche
Publié: 1969-09-22T06:00:00+00:00


20

Quand il vit que Jimmy n’était pas dans la salle à manger, il supposa qu’il était allé aux cabinets et il se dit que, dès qu’il en sortirait, il irait lui aussi. Il s’était, bien sûr, un peu énervé et il avait eu froid dehors. L’assistance était toujours scindée en deux groupes : les personnes âgées à gauche, autour du poêle, et les jeunes à droite. Il s’approcha de ces derniers. Sa petite promenade l’avait sans doute enhardi, car il se mit aussitôt à dire, comme s’il parlait à la cantonade :

— Ce qui m’agace dans cette guerre au cochon – il s’irrita d’avoir involontairement appelé ainsi la persécution des vieux – c’est le culte rendu à la jeunesse. Les jeunes, ils sont grisés par la jeunesse. C’est stupide.

— La jeunesse est un état qui ne dure pas longtemps, reconnut le petit jeune homme aux yeux protubérants.

Peut-être parce qu’il ne s’attendait pas à ce qu’on abonde si vite dans son sens, Vidal eut des paroles imprudentes.

— Il existe, dit-il, des arguments valables à l’encontre des vieux.

Craignant qu’on ne l’interroge – il n’était pas certain de se rappeler ces arguments et il ne voulait pas donner des armes à l’ennemi – il voulut changer de conversation, mais le petit jeune homme l’interrompit en disant :

— Je sais bien, je sais bien.

— Vous peut-être, mais ces jeunes excités, ces véritables délinquants, eux, qu’en savent-ils ? Arturo Farrell lui-même…

— C’est un agitateur, je vous le concède, un charlatan.

— L’ennui c’est qu’il n’y a rien d’autre derrière ce mouvement. Absolument personne. C’est navrant.

— Ah ! non, monsieur. Là vous vous trompez, dit le jeune homme.

— Vous croyez ? dit Vidal et, quêtant peut-être un appui, il chercha des yeux Arévalo.

— J’en suis certain. Derrière tout cela, il y a des gens qui réfléchissent. Quantité de médecins, de sociologues, de statisticiens, et, tout à fait entre nous, il y a même des gens d’église.

Vidal pensa : « Tu as une vraie tête de crapaud. » Il dit tout haut :

— Et tous ces beaux esprits n’ont pas trouvé d’arguments plus convaincants ?

— Permettez ! L’argumentation est mauvaise, mais elle est parfaitement calculée pour enflammer les masses. Ils veulent une action rapide et efficace. Mais croyez-moi, les raisons qui poussent le comité central sont tout autres, je vous assure, tout autres.

— Croyez-vous ? répondit Vidal qui regarda de nouveau du côté d’Arévalo.

Le jeune garçon boutonneux ajouta :

— C’est évident. C’est pourquoi on a liquidé, vous vous en souvenez, le gouverneur qui n’a pas voulu faire disparaître de l’écusson provincial la devise : Gouverner c’est peupler. Il y a aussi une autre devise, non moins absurde, dont je ne me souviens plus…

— À mon avis, dit le jeune homme, les premiers responsables sont les médecins. Ils nous fabriquent des vieillards, sans allonger d’un jour la vie humaine.

— Que veux-tu dire par là ? demanda le garçon aux boutons.

— Connais-tu beaucoup de personnes de cent vingt ans ? Moi pas.

— C’est vrai : on s’est borné à peupler la planète de vieux qui ne servent pratiquement à rien.



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