Correspondance avec Horace Walpole (1766-1780) by Madame Du Deffand

Correspondance avec Horace Walpole (1766-1780) by Madame Du Deffand

Auteur:Madame Du Deffand
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions du Mercure de France
Publié: 2015-10-15T00:00:00+00:00


Paris, samedi 10 janvier 1771.

Je reçois votre lettre du 4 ; il est inconcevable que vous n’eussiez pas encore reçu ce jour-là une lettre de dix pages du 26 et du 27 de décembre ; votre cousin s’en était chargé ; je le verrai cette après-dînée, et je lui demanderai raison de ce retardement ; j’en suis inquiète ; je compte bien que, dès que cette lettre du 27 vous sera parvenue, vous ne tarderez pas un instant à me l’apprendre.

Votre amitié, vos attentions, sont un puissant spécifique contre mes chagrins. On n’est point isolé quand on a un véritable ami, fût-il à mille lieues, dût-on ne le jamais revoir. Vous me faites espérer que, s’il n’y a point de guerre, vous viendrez ici ; vous serez bien étonné si je vous exhorte à n’en rien faire ; c’est cependant le conseil que je vous donne. C’est pour vous une grande fatigue ; vous craignez le passage, les mauvais gîtes de la route, le logement des hôtels garnis, l’ennui du séjour. C’est acheter bien cher le plaisir d’un moment ; je ne veux point que vous mettiez en compte celui que vous me ferez, et puis ne sera-t-il pas suivi d’une bien grande douleur, quand il faudra se séparer pour toujours ? car je ne me flatte pas qu’il puisse être suivi d’un autre ; deux ans d’intervalle est tout ce qu’il peut y avoir entre ma vie et le dernier de tous les voyages. Voilà ce que la raison me dit, je veux l’écouter et la croire ; mais cependant quel bien cette raison nous fait-elle ? Elle éteint ou amortit tous les sentiments naturels, et met à la place des idées qui nous sont toujours étrangères, qui ne s’insinuent jamais véritablement dans notre âme, qui nous font dire en bâillant que nous sommes heureux. J’honore la raison puisqu’il le faut, mais elle ne fait pas tant de bien qu’on s’imagine ; je ne sais si elle rend estimable, mais je sais bien que quand elle est dominante, elle ne rend pas aimable. Voilà une dissertation des plus fastidieuses ; c’est la suite et l’effet des froides réflexions que la raison me fait faire ; j’ai envie de la laisser là, de changer de note et de vous dire tout naturellement : Venez, venez me voir, mon cher ami, tout le plus tôt que vous pourrez ; choisissez le plus beau temps et le moment où vous vous porterez le mieux.

Cette lettre sera écrite à diverses reprises, puisqu’elle ne partira que lundi.



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