Le Moment est venu de dire ce que j'ai vu by Philippe de Villiers

Le Moment est venu de dire ce que j'ai vu by Philippe de Villiers

Auteur:Philippe de Villiers [Villiers, Philippe de]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2015-09-30T04:00:00+00:00


Quand Dominique Souchet m’appela pour m’annoncer en pleines vacances à l’île d’Yeu la mort du grand homme, nous nous sommes rappelés tous les deux notre serment de 93 : « Quoi qu’il arrive, nous irons à son enterrement. » Quelques minutes plus tard, un message de la famille nous parvenait pour nous convier au monastère Donskoï où devaient avoir lieu les funérailles. C’était quinze ans après son passage en Vendée.

Nous nous attendions à retrouver là-bas toute une délégation française de hautes personnalités du monde politique et du milieu culturel. Surprise en arrivant à Moscou : l’ambassadeur n’était pas là. Il n’avait pas jugé utile d’interrompre ses vacances sur la Volga. Nous fûmes accueillis par le chargé d’affaires. Je le pressai de questions :

– Qui représente le gouvernement français ?

Le pauvre diplomate me fit une réponse embarrassée :

– Nous n’avons trouvé personne. Ni au gouvernement ni au Parlement. Vous serez les seuls représentants de la France et je vous accompagnerai.

Où étaient donc les présidents, ministres, hommes politiques, intellectuels, nouveaux philosophes ? À la plage du soleil d’août ? Non, dans leur penderie. Car la plupart d’entre eux préparaient leurs plus beaux costumes avant leur départ pour les Jeux olympiques de la Chine communiste à Pékin, qui allaient connaître une ouverture d’une solennité inouïe. Ils ne trouvèrent pas le temps nécessaire pour venir témoigner de notre immense dette à l’égard de celui qui avait ébranlé le système d’oppression communiste internationaliste.

La cérémonie fut splendide. Elle se déroulait devant une fabuleuse iconostase à sept registres du XVIIIe siècle. Elle dura six heures. Nous étions dans le carré de la famille, auprès du président de la Russie et du maire de Moscou. Je n’oublierai jamais cette longue cordée des humbles qui défila dans la fumée des cierges et les vapeurs d’encens, devant le cercueil ouvert, peu à peu submergé par une véritable muraille de fleurs.

Toute la Russie est là. Une marée humaine. Des silhouettes hors d’âge se pressent : les anciens camarades de combat, les gueules cassées, avec les insignes de rescapés du Goulag. Il y a de la gravité, du désarroi dans tous les regards. Et surtout un profond recueillement. C’est le temps de la Miséricorde. Visiblement, ici, chez les orthodoxes, les beautés ancestrales des chants sont immuables. Il n’y a pas eu d’aggiornamento. L’office est sublime. On est entre ciel et terre.

Après la liturgie de la messe des morts, culminant dans la grande prière trinitaire du Trisagion, entonnée par le métropolite de Moscou, les grandes portes s’ouvrent, le moment est venu de sortir de la cathédrale. C’est la garde d’honneur du Kremlin qui porte solennellement le corps du vieux dissident. Juste après la famille et le président Medvedev, on m’invite à jeter, au nom de la France, une petite poignée de terre sur le cercueil qui vient d’être descendu. Les cuivres et les canons de l’armée russe retentissent pour le pauvre zek qui se fit le porte-voix des si nombreuses victimes oubliées de tous les systèmes totalitaires.

Le cortège se dirige ensuite vers l’Académie des Sciences pour le repas des funérailles, selon l’usage des Russes.



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