Exhortation aux crocodiles by Lobo Antunes Antonio

Auteur:Lobo Antunes, Antonio [Lobo Antunes, Antonio]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Portugaise
Éditeur: La Gang©
Publié: 2015-05-30T22:00:00+00:00

18

Si mon pauvre père le savait je n’ose même pas y penser mais c’est par pitié que j’ai dit oui, je me suis installée dans sa chambre, j’ai remplacé les crucifix par mon séchoir et mes flacons de parfum et voilà j’ai dit oui, la fenêtre ne donnait pas sur la statue de Campo de Santana comme du côté de ma chambre où il suffisait de se pencher sur le rebord pour voir aussitôt les cygnes et les adeptes en prière devant la statue du spirite, mais sur un jardin de joueurs de manille retraités, et après les grilles on voyait Lisbonne nichée tout en bas, les toits bondissaient à ma rencontre en remuant les queues de leurs cheminées, cherchaient à me lécher le menton avec les langues de leur fumée, si je les ignorais des moteurs jaloux d’autobus se mettaient immédiatemment à grogner, si je fermais le verrou ils protestaient en aboyant des coups de klaxon, et le soir même avec les stores baissés je sentais leurs yeux humbles de lucarnes qui me cherchaient comme les yeux du Christ sur le mur

— Si ton pauvre père l’apprenait je n’ose même pas y penser

— Laissez-moi

et ensuite ces odeurs d’église, la Vierge Marie sur un petit nuage de terre cuite à l’angle ébréché, dès que je tournais la tête la voix de ma mère sortait de la sainte dans un cri

— Sincèrement Fátima

le diplôme en latin avec la bénédiction du pape, dans le jardin chaque retraité entouré de son auréole de moineaux abattait des atouts sous un cèdre, celui au béret de sergent gardait ses mégots sur l’oreille, le quincailler qui ne possédait qu’une main désignait une carte avec sa lèvre, une paluche charitable aux doigts tordus surgissait pour la lui retirer, l’infirme se récriait en bondissant sur son banc

— Pas celle-là imbécile l’autre

une deuxième paluche aux doigts tordus changeait la dame qui avait mon allure pour un six sans valeur, quand une brise se levait à l’est le parfum des glycines couvrait les odeurs d’église, des pétales bleus balayaient les carreaux, le quincaillier affublé d’un accordéon de billets de loterie accrochés à sa veste par une épingle à nourrice exigeait de reprendre la partie au début parce qu’on connaissait son jeu, le soir, accompagné par le sergent qui s’enrubannait de médailles, il allait sur la terrasse du café annoncer des gagnants millionnaires et exhiber son moignon

— Je me suis fait ça en sauvant deux enfants de la mort dans un incendie à Abrantes

un soupir dans mon dos affolant les glycines, non pas une demande non pas de quelqu’un mais quelque chose d’ancien, gémissements de huche en bois de camphrier, plaintes de tuyaux dans une villa de bord de mer, froissements de rideaux dans des greniers déserts, une paluche charitable tirant sur une dame, des doigts tordus cherchant mon cou

— Fatinha

il y a maldonne, ne m’abattez pas sur la table ce n’est pas de moi qu’on veut mais d’un six sans valeur, la bénédiction du pape formée de lettres qui allaient

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