Elsa Morante by La Storia (Vol. I)

Elsa Morante by La Storia (Vol. I)

Auteur:La Storia (Vol. I) [Storia, La]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 2070372146
Éditeur: Gallimard


5

Ce début d’automne apporta aux réfugiés de la grande salle divers événements notables.

À la fin de septembre, il faisait encore une chaleur estivale et, pour ne pas étouffer, on dormait les fenêtres ouvertes. Ce fut le 29 ou le 30 de ce mois que, le soir tard vers onze heures, un peu avant le couvre-feu, la chatte Rossella sauta dans la grande salle de l’une des fenêtres basses donnant sur la tranchée, s’annonçant, elle d’ordinaire si taciturne, par un long et ardent miaulement. Tout le monde était déjà couché, mais tout le monde ne dormait pas encore ; et Giuseppe Secondo, qui était encore éveillé, fut le premier à voir, peu après l’annonce de Rossella, une ombre masculine s’encadrer dans l’embrasure de la fenêtre : « C’est ici le refuge des évacués ? » demanda cette ombre.

« Et alors ? qu’est-ce que tu veux ? »

« Laissez-moi entrer. » La voix était rauque et très lasse, mais péremptoire. À cette époque, quiconque se présentait inopinément était suspect, et cela plus encore la nuit. « Qui c’est ? qui c’est ? ! » s’informèrent alentour plusieurs voix alarmées provenant du grabat des Mille, cependant que deux ou trois de ceux-ci se levaient hâtivement, recouvrant tant bien que mal leurs corps en sueur et à peu près nus. Mais Giuseppe Secondo, le seul qui se couchait en pyjama, se dirigeait déjà vers la fenêtre, ses souliers aux pieds, sa veste sur les épaules et son chapeau sur la tête. Cependant, Rossella, avec des égards insolites, ne cessait de le solliciter, lui disant de sa voix spéciale : miououououou ! et elle faisait la navette de la fenêtre à la porte, recommandant nettement d’accueillir sans délai l’inconnu.

« Je suis un… évadé du Nord !… un soldat… ! » brailla l’inconnu, s’obstinant dans son comportement de brigand de grand chemin. « Oh, mon Dieu, je vais tomber… », dit-il, changeant soudain de voix et se parlant à lui-même en dialecte, dans un abandon désespéré et sans défense, et s’appuyant du dos contre le mur extérieur.

Ce n’était pas la première fois qu’arrivaient des soldats de passage, qui s’étaient débarrassés de leur uniforme et qui voulaient rejoindre le Sud. D’ordinaire, ils ne s’arrêtaient pas longtemps, ils se restauraient, prenaient un peu de repos et puis se remettaient en route. Mais en général, ils arrivaient de jour et usaient de manières plus courtoises.

« Attendez… » À cause du black-out, la fenêtre fut refermée avant d’allumer la lampe centrale. Il dut croire sans doute qu’on le laissait dehors, car il se mit à cogner à la porte avec ses mains et avec ses pieds.

« Oh, quoi ! un peu de patience !.„ Entrez. »

Aussitôt entré, tombant presque à genoux, il se laissa choir par terre, adossé à un petit sac de sable.

Évidemment il était à bout de forces et n’était pas armé. L’entière tribu des Mille (sauf quelques tout petits et les jumelles qui dormaient) s’était pressée autour de lui, les hommes, le torse nu ou en maillot de corps et en slip, et les femmes en combinaison.



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