Deux doigts de mensonge by Ruth Rendell {Barbara Vine}

Auteur:Ruth Rendell {Barbara Vine} [Rendell, Ruth]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782253125174
Éditeur: Éditions des Deux Terres

Cela se révélait pire que je le redoutais. Je restai assise un long moment dans cette bibliothèque d’époque victorienne, une ancienne bourse au grain, à songer aux conséquences d’une prise prolongée de Largactil. Avait-on vérifié que John n’avait pas de troubles de la motricité ? Je n’en avais aucune idée, mais je pensais que non. D’après moi, ce médicament, dont il n’avait aucun besoin mais qu’on lui administrait de force, handicapait ses membres et provoquait chez lui quelque chose qui s’apparentait à la maladie de Parkinson. Quittant la bibliothèque pour attraper mon bus, je songeai aussi à son refus de prendre ce médicament : il subissait un sevrage complet, au lieu de la diminution progressive recommandée.

À mon retour à Lydstep Old Hall, je trouvai John en train d’essayer de lire le journal. Il avait chaussé ses lunettes, mais elles étaient inadaptées et il se servait d’une loupe. Je compris qu’il n’avait pas dû aller chez l’oculiste depuis des années et que maintenant, à presque quarante ans, sa vue commençait à se dégrader — c’était presque toujours inéluctable. Autant que je puisse en juger, la loupe ne l’aidait pas beaucoup. Lorsqu’il me vit, il la reposa, retira ses lunettes et sourit. Ce n’était pas la première fois qu’il me souriait, mais je ne crois pas que ça s’était produit plus d’une ou deux fois auparavant. Je lui demandai comment il se sentait, sur le ton que j’aurais adopté avec n’importe quel autre homme de son âge.

— Je vais bien, me répondit-il.

La première fois que je l’avais vu, en juin dernier, quand il prenait le thé dans la cuisine avec sa mère et Ida, je l’avais trouvé bel homme, mais son allure était gâchée par son inexpressivité. Maintenant que ce masque vide avait commencé de se dissiper, je m’aperçus de nouveau à quel point il était bel homme, avec ce visage qui était le legs de deux êtres aux traits d’un beau classicisme, ses cheveux épais et noirs, et les yeux de Winifred, d’un bleu limpide et profond. Ayant récupéré après sa journée épuisante, elle le regardait, elle aussi, mais avec dégoût.

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