De Capes et de mots by Flore Vesco

Auteur:Flore Vesco [Vesco, Flore]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
Éditeur: Didier Jeunesse
Publié: 2015-06-30T22:00:00+00:00

Note

1. La première épouse du roi aimait beaucoup la comédie. Quand la reine actuelle était montée sur le trône, elle avait déclaré les farces immorales et dégradantes. La vérité est qu’elle ne comprenait rien au théâtre. Décors et costumes avaient été remisés au débarras, et les comédiens de la troupe royale avaient été promus ministres. À l’époque, Léo III commençait à s’affaiblir. Il avait laissé faire.

9

Clysopompes

Le soleil se levait à peine. Serine bâilla, étendit paresseusement les bras… et bondit soudain avec effroi. Quelle était cette chambre dans laquelle elle dormait ? D’où venaient ces bruits ? Et que portait-elle sur la tête ?

Il lui fallut quelques minutes pour se souvenir qu’elle se trouvait au pied du lit royal, roulée en boule, les grelots en bataille. Pauvre bouffon aux yeux bouffis. Sa tête était si douloureuse qu’elle passa plusieurs fois la main sur son crâne pour s’assurer qu’aucun burin n’y était enfoncé. Elle n’y trouva qu’une bosse d’une grosseur impressionnante, sous un amas de sang séché. Elle était répugnante, couverte de boue sous son costume froissé. Dégrisée par le calme et la pénombre du petit matin, elle ne revenait pas de son audace.

Elle écouta un moment les ronflements du roi, qui l’avaient si fort inquiétée à son réveil. Elle songeait mollement à s’enfuir du palais tant que personne n’était encore réveillé. Elle devrait se lever, trouver des vêtements plus discrets, sortir dans le froid, se glisser dans une charrette. Retourner dans le manoir glacial avec la mère assortie. Et pendant ce temps, le secrétaire poursuivrait son ascension et ses machinations. Cette dernière pensée secoua sa torpeur. Serine se redressa brusquement, sourcils froncés, poings serrés.

Aussitôt la chambre du roi se mit à tourner. Elle tituba jusqu’au petit guéridon, où étaient posés un bol de bouillon refroidi, des biscuits, et une corbeille de fruits. Une fois le tout englouti, le sol s’arrêta de tanguer, et le martèlement dans son crâne devint presque supportable.

Serine se dirigea ensuite vers la salle d’eau. Sans faire de bruit, elle procéda à une toilette minutieuse. Quand elle eut terminé, le savon avait diminué de moitié, le baquet d’eau était rempli d’un liquide noir et grumeleux, et les serviettes parfumées gisaient en boule, humides et tachées.

En voyant l’état dans lequel elle avait laissé la salle de bain royale, une pensée grisante l’électrisa. Elle n’aurait pas, aujourd’hui, à essuyer mille petites brimades avec le sourire, tenir sa langue et rester interminablement debout. Ils allaient en voir de toutes les couleurs, les moutons de la cour ! Elle renfila son costume chamarré et ajusta son masque.

Tranquillement, elle fit le tour de la chambre. Elle tripota la bimbeloterie, ouvrit les penderies, retourna les papiers qui jonchaient le bureau. Elle s’arrêta devant un petit tableau, accroché près du lit. C’était un portrait intime de la première épouse du roi. Elle reconnaissait la jeune femme à son sourire espiègle et ses yeux bleus. Sa main était posée sur un ventre rebondi. Serine était pourtant certaine que la reine était morte avant d’avoir donné un héritier à la couronne.

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