Ceux de 14 by Genevoix Maurice

Ceux de 14 by Genevoix Maurice

Auteur:Genevoix,Maurice [Genevoix,Maurice]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Flammarion
Publié: 1949-01-25T23:00:00+00:00


Le jour est venu, ouaté de brouillard blanc. Le long du talus, sous les branches torses des quetschiers, les guitounes béent au ras du sol. Des auvents de planches les couvrent, s'inclinant si bas qu'il faut ramper pour franchir les seuils. Une jonchée de chaume calfeutre d'un bout à l'autre ce village de troglodytes. Des sentes, de place en place, le coupent de saignées brunâtres, s'insinuent entre les toits vers la pente de la colline. En arrière, par-delà un marécage où des papiers jalonnent des feuillées, où des pistes s'entrecroisent en un lacis d'eau luisante, on entrevoit confusément une ligne d'arbustes au bord d'un chemin, à moins que ce ne soit d'un ruisseau. À gauche, près des huttes, quelques tiges d'osier rouge grelottent de toutes leurs feuilles. En avant, une friche poisseuse monte vers le brouillard, y plonge et s'y engloutit.

« Eh bien ! mon vieux ! Nous qui nous excitions sur le secteur ! »

Porchon, plié en deux, émerge du poste de commandement. Il se redresse, ouvre les bras dans un geste d'emphase comique :

« À nous l'espace ! déclame-t-il ; les libres étendues qui dilatent les poitrines ! »

Il élève son bâton, le brandit à travers le brouillard.

« Ici le Montgirmont aux vergers opulents. Plus loin l'austère côte des Hures. Cette route, à nos pieds, file d'un jet vers Trésauvaux, le transperce allègrement et s'élance au cœur de la Woëvre… Hé, dis donc ! Si tu m'écoutais ?

— Tout à l'heure, quand il fera clair. Maintenant je vais retrouver la bougie. »

L'un derrière l'autre, nous nous engageons dans un boyau étroit, long de deux mètres à peine, baissons la tête pour franchir la porte, et nous sommes dans notre maison.

C'est bien une maison : une maison aux parois de terre glaise, toute petite, sans lumière et sans air ; et pourtant une maison. Nous retrouvons, en y entrant, la même surprise joyeuse dont nous fûmes saisis à l'arrivée.

« On s'assied ?

— Évidemment.

— Sur les chaises ?

— Non ; sur le matelas : on est mieux. »

Une porte de grange, posée sur un terre-plein doucement incliné, emplit tout le fond de l'abri. Cela fait comme un vaste bat-flanc où trois dormeurs peuvent s'étendre à l'aise. Des planches clouées le munissent d'un rebord qui maintient la litière de paille et l'énorme matelas sur lequel nous nous sommes assis.

« Ce n'est pas une paillasse, dit Porchon. C'est un matelas ; et bourré de laine, on le voit ; car le pauvre bâille de toutes ses coutures. Il semble très, très malade.

— Il semble fichu.

— Mais nous le prolongerons…

— À force de soins assidus… Oh ! les mouches !

— Les garces de mouches ! »

Nous avons beau secouer la tête et gifler l'air à tour de bras, elles reviennent à l'attaque en hordes obstinées. On en voit des grappes collées au plafond de planches, suspendues aux murs d'argile, agglomérées dans les encoignures. Elles enveloppent le tuyau du poêle d'une gaine grouillante à reflets métalliques, se grillent par dizaines à la flamme de la bougie, amoncelant au pied leurs cadavres sans ailes, pareils à de petites chrysalides noires.



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