Berezina by Sylvain Tesson

Berezina by Sylvain Tesson

Auteur:Sylvain Tesson [Tesson, Sylvain]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 978-2-35221-089-4
Éditeur: Éditions Guérin
Publié: 2014-12-31T23:00:00+00:00


Le cinquième jour.

De Borissov à Vilnius.

À

9 HEURES, nous étions au musée de Borissov. Comme dans tous les établissements de l’ex-Empire soviétique, une dizaine de grosses dames en tricots gardaient des pièces vides. Au moins l’épopée napoléonienne avait-elle pourvu des emplois. Le musée regorgeait de drapeaux, d’uniformes, d’armes et de cartes murales striées de flèches rouges. Chaque année dans les labours, les paysans exhumaient des fûts de canon, des boutons et des casques rouillés. Le musée avait fini par refuser les découvertes.

Goisque, qui avait la fibre archéologue, ne pouvait se décoller de la vitrine d’exposition des boulets de canon. « Tesson, tu te souviens de l’histoire de F. ? »

Notre ami de Rostov-sur-le-Don nous avait raconté son aventure pendant notre dîner à Moscou. Il avait pris l’habitude de sillonner les champs de bataille de l’ex-URSS avec un détecteur à métaux. Un jour, dans les vasières de la Berezina, la sonnerie s’affola. Il écarta les ajoncs, fouit le limon, exhuma un boulet. Il le fit identifier et on lui confirma ce dont il ne doutait pas : c’était une pièce d’artillerie napoléonienne. Il rentra en voiture à l’aéroport de Saint-Pétersbourg avec son trésor de trois kilos et se présenta à l’embarquement, le boulet dans son bagage de cabine. Sans doute pécha-t-il par naïveté. À peine s’était-il avancé au barrage de sécurité : sonneries des portiques, panique des autorités, fouille des sacs, découverte du boulet. Sans daigner expliquer comment on détruit un avion avec un boulet de 1812, les flics lui interdirent de monter à bord. F., attaché à sa découverte, demanda dix minutes de sursis, sortit du terminal de l’aéroport, avisa un arbre sur le parking, jeta un coup d’œil à droite, un autre à gauche et creusa un trou dans la terre d’été où il enterra son trésor. Puis il sauta dans son avion après avoir pris de savants repères dans l’espoir de récupérer son bien un jour ou l’autre. Plusieurs mois après, notre ami von Polier accompagnait à l’aéroport de Saint-Pétersbourg des businessmen russes de la plus haute importance pour la survie de ses affaires. Dans la poche de son complet veston, il y avait les instructions de F. et un plan griffonné sur une page de cahier d’écolier : « Deux pas à droite après le parcmètre, troisième bouleau en partant de la barrière ». Von Polier pria ses financiers de l’excuser : « Je vous demande cinq minutes, messieurs ». Il sortit en courant sur le parking, trouva l’arbre au boulet, commença à fouiller. C’était l’hiver, la terre était gelée. Et voilà un type en costume, accroupi sur un parking, occupé à creuser les bas-côtés avec son stylo Mont-Blanc. Le boulet rapporté à Moscou par voie ferrée trônait sur son piano entre une icône de l’anneau d’or et un portrait de Lénine.

Il fallut attendre que Nina, l’historienne de l’établissement, se présentât au musée. Un chien mordit Vassili au mollet dans le jardinet où étaient exposés des canons Pak 40 de 75 mm pris aux Allemands en 1944. Le sang dessina une fleur sur la neige.



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