BELLE-ROSE by Amédée Achard

BELLE-ROSE by Amédée Achard

Auteur:Amédée Achard [Achard, Amédée]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Ebooks libres et gratuits
Publié: 2016-12-27T19:27:10+00:00


XXIX

CE QUE FEMME VEUT, DIEU LE VEUT

Instruit par le gouverneur de ce qui s’était passé durant la nuit à la Bastille, M. de Louvois haussa les épaules.

– C’est dommage, dit-il, que Belle-Rose appartienne à M. de Luxembourg. Sans cette fâcheuse circonstance, on aurait pu en faire quelque chose…

– Quoi ! monseigneur, vous savez.

– Je sais tout : tandis que vous le soumettiez à la question, un courrier m’est arrivé de Flandre ; j’ai appris que la nuit même du départ de Belle-Rose, le jeune officier avait eu une conférence avec M. de Luxembourg ; on m’a conté les détails d’une scène qui s’est passée au camp de Charleroi, à propos d’un capitaine qui avait encouru la peine de mort ; j’ai tout appris : le soldat a été l’instrument du général.

– Oserai-je demander à Votre Excellence ce qu’elle compte faire ?

– Moi ? rien.

– La question devient donc inutile ?

– Tout à fait.

– Et le prisonnier peut être mis en liberté ?

– Non pas. Je l’oublie, voilà tout.

Le gouverneur comprit la terrible signification de ces mots, qui condamnaient Belle-Rose à une détention perpétuelle.

– Il faut bien qu’on sache, reprit le ministre en se levant, que par moi on peut tout, que sans moi on ne peut rien.

– Permettez-moi d’espérer, monseigneur, qu’un jour vous m’autoriserez à reprendre cet entretien.

– Soit ; je vous ajourne à vingt ans.

Tandis que ces choses se passaient à Paris, Mme d’Albergotti prodiguait à son mari les soins les plus tendres ; sa figure était devenue blanche comme un cierge ; ses mains semblaient transparentes ainsi que l’albâtre. Quand venait le soir, Claudine l’accompagnait dans sa chambre, qui était attenante à celle du marquis.

– Mon Dieu, vous vous tuez, lui disait la pauvre fille en l’embrassant.

– Laisse, répondait tristement Suzanne, c’est pour moi le repos qui vient.

Une nuit, la troisième depuis le passage de Mme de Châteaufort, M. d’Albergotti appela Suzanne. Suzanne était déjà au chevet de son lit.

– Vous souffrez ? dit-elle.

– Non, je finis.

Suzanne ouvrit la bouche pour parler, M. d’Albergotti l’arrêta d’un geste.

– Je vous ai fait venir, reprit-il, pour que vous receviez mes adieux. Je vous ai toujours aimée comme un père aime son enfant, vous m’avez rendu cette affection autant qu’il était en vous ; vous avez été honnête, pieuse et résignée ; vous n’avez pas eu une mauvaise pensée : Dieu vous doit une récompense. Approchez-vous, Suzanne, afin que je vous bénisse.

Suzanne, plus morte que vive, s’agenouilla près du lit ; elle avait bien compris à l’air de M. d’Albergotti que quelque chose d’étrange et de mystérieux se passait en lui. M. d’Albergotti posa ses deux mains sur le front de sa jeune épouse et pria. Au bout d’un instant, ses mains s’appesantirent et se glacèrent. Suzanne les écarta et regarda son mari. Le vieux capitaine venait de rendre son âme à Dieu. Mme d’Albergotti le baisa au front, et fermant les paupières du mort, elle alla s’agenouiller sous l’image du Christ et passa toute la nuit en prières. Après qu’elle



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