Baleines by Unknown

Baleines by Unknown

Auteur:Unknown
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Ce soir-là, je ne sortis pas avec les équipiers. Je devinais que leur indignation alimenterait une longue soirée et je laissai Liza s’occuper d’eux, prétextant une migraine. Je m'installai dans mon petit bureau derrière la cuisine, là où je préparais les notes des clients, et contemplai les grands livres alignés par année, les comptes qui retraçaient toute l’histoire de l’hôtel. Les classeurs des années 1946 à 1960 étaient épais, la largeur de leurs dos indiquait la popularité de l’hôtel. Il m’arrivait parfois d’en ouvrir un et de lire les factures, aux airs de parchemin, de quartiers de bœufs, de cognac ou de cigares importés, autant de preuves de célébrations de journées de pêche fructueuses. Mon père avait conservé tous les reçus, une habitude que j’avais gardée. C’était à l’époque où la mer regorgeait de poissons, où le salon retentissait de rires et où nos vies étaient simples. Notre préoccupation principale était de fêter la fin de la guerre et la nouvelle prospérité qui s’ensuivrait.

Les classeurs de ces dernières années dépassaient à peine le centimètre d’épaisseur. Je laissai courir ma main le long des volumes reliés en cuir et le bout de mes doigts mesurer leur affinement. Je levai ensuite les yeux vers la photographie de mes parents qui me regardaient fixement, solennels dans leurs habits de noce. Je me demandai ce qu’ils auraient pensé de ma fâcheuse situation. D’après Nino, je pourrais vendre cet endroit aux futurs hôteliers; en négociant, je pourrais obtenir un bon prix. J’aurais de quoi recommencer ailleurs. Mais j’étais trop vieille pour partir à la recherche d’une maison, trop vieille pour entasser tout ce qu’il restait de ma vie dans un petit pavillon qui ressemblerait à une boîte. Je n’avais pas envie d’avoir à trouver mon chemin dans de nouveaux centres médicaux ou supermarchés, devoir converser poliment avec de nouveaux voisins. Ma vie appartenait à ces murs. Tout ce qui avait jamais compté pour moi était là. Tandis que je regardais ces livres, je me rendis compte que je tenais plus à cette maison que je n’avais voulu me l’avouer.

D’habitude je ne bois pas mais, ce soir-là, j'ouvris le tiroir du bureau de mon père, en sortis sa vieille flasque en argent et m’autorisai un petit verre de whisky.

Il était presque 22 h 15 quand Liza frappa à la porte. « Comment va ta tête ? demanda-t-elle en fermant la porte derrière elle.

— Bien. » Je refermai les livres de comptes espérant avoir l’air de quelqu’un qui venait de travailler. Je n’avais mal nulle part en particulier, mais tout me faisait souffrir. Tout en moi se lassait.

« Mike Dormer vient de rentrer et est monté directement. Il agit comme s’il ne partait pas. Tu devrais peut-être lui parler.

— Je lui ai dit qu’il pouvait rester, l’informai-je calmement tout en me levant pour ranger le livre sur son étagère.

— Tu as fait quoi ?

— Tu as entendu.

— Mais pourquoi ? Il doit s’en aller loin de nous. »

Je ne la regardai pas. Cela n’était pas nécessaire : au ton de sa voix, je savais qu’elle était rouge de colère.



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