Au dieu inconnu by Steinbeck John

Auteur:Steinbeck, John [Steinbeck, John]
La langue: fra
Format: epub
Tags: S
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2012-07-16T22:00:00+00:00

XVII

Le printemps vint avec exubérance ; les collines se trouvèrent enfouies sous une couche vert tendre d'herbe vigoureuse et épaisse. Sous l'effet des pluies continuelles, la rivière enflait et, sur les rives, les arbres plongeaient sous le poids des feuilles. Leurs branches se rejoignaient au-dessus des eaux, formant une voûte d'ombre de plusieurs kilomètres de long. L'humidité de l'hiver avait laissé sa patine sur les bâtiments de la ferme. Une mousse pâle apparaissait sur les toits exposés au nord, les tas de fumiers se couronnaient d'herbe nouvelle.

Le bétail, comprenant qu'une abondante provende jaillissait au flanc des coteaux, avait des portées plus nombreuses. Jamais on ne vit naître autant de veaux jumeaux que ce printemps-là. Les truies mirent bas, et il n'y eut pas de chétif petit dernier. Seuls quelques chevaux furent laissés à l'attache dans la grange, parce que l'herbe était encore trop tendre pour être foulée.

Quand vint avril et les jours chauds qui sentaient bon l'herbe, les collines se chargèrent de fleurs multicolores, de pavots jaunes et de lupin bleu, en carrés ou en bandes. Chaque espèce, là où elle prédominait, éclaboussait la terre de sa couleur. Cependant, la pluie tombait souvent, imbibant le sol d'humidité. Chaque dépression se transformait en source et chaque trou en puits. Les petits veaux luisants engraissaient et à peine étaient-ils sevrés que leurs mères retournaient au taureau.

Alice alla chez elle à Nuestra Señora pour accoucher d'un garçon qu'elle ramena avec elle au ranch.

En mai, une brise salée soufflait régulièrement de la mer, chargée d'une légère odeur de varech. Ce printemps apportait du travail aux hommes. Toutes les terres arables autour de la ferme noircirent au passage des charrues et, des graines méthodiquement alignées, jaillirent l'orge et le froment. Le jardin potager produisit avec une telle générosité que seuls les plus beaux et les plus gros légumes allèrent aux cuisines. On donna aux cochons les navets mal conformés et les carottes imparfaites. Les écureuils vinrent caqueter à l'orifice de leurs terriers, et ils étaient déjà plus gros ce printemps-là qu'ils ne le sont habituellement à l'automne. Sur les collines, les poulains s'ébattaient sous le regard amusé de leurs mères. Et quand tombaient les pluies chaudes, les chevaux et les vaches ne se mettaient pas à l'abri sous les arbres, mais continuaient de brouter, tandis que l'eau qui ruisselait sur leurs flancs les faisait briller comme de la laque.

Dans la maison de Joseph, on se préparait paisiblement pour la naissance. Elizabeth travaillait à la layette du bébé et les autres femmes, sachant que cet enfant serait le chef et l'héritier du pouvoir, venaient s'asseoir avec elle et l'aider. Elles capitonnèrent de satin molletonné un panier à linge et Joseph le fixa sur un pied à bascule. Elles ourlèrent plus de couches qu'il n'était possible à un enfant d'en user. Elles brodèrent de longues robes de baptême. Elles dirent à Elizabeth qu'elle avait de la chance, car elle était rarement malade : effectivement, avec le temps elle devint plus forte et plus heureuse. Rama lui apprit

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