Allemagne et Italie by Edgar Quinet

Allemagne et Italie by Edgar Quinet

Auteur:Edgar Quinet
La langue: fra
Format: epub
Tags: Literature
Éditeur: eBooksLib
Publié: 2001-12-15T00:00:00+00:00


ITALIE

i Venise.

Oui, Albert, je suis parti sans prendre congé de toi, ni de personne, selon ma louable coutume. Pardonne-moi ; je me mourais sur la lisière de nos bois. Tu ne connais pas les sources de mélancolie que recèlent ces puissantes forêts, quand les ombres d'automne s'amassent sur les étangs. Les oiseaux voyageurs étaient arrivés des montagnes. Chaque matin ils passaient par bandes devant ma porte ; je me figurais par avance les contrées qu'ils allaient visiter, les lacs, les vallées, les mers. Une inexprimable angoisse me saisissait : j'avais besoin, comme eux, de secouer la rosée de mes songes, et d'un coup d'aile vigoureux pour fuir mon propre souvenir. En errant dans les salles du vieux château de Montmort, j'ai retrouvé des ombres funestes qu'il faut quitter.

Tu ne sais pas quelle douleur c'est de n'entendre jamais d'autre écho que celui de sa pensée vagabonde. Ma jeunesse se consumait là dans un stérile amour de la création tout entière. J'étais noyé dans un océan sans forme et sans rivages.

Si je n'eusse pris la résolution d'en sortir, c'était fait de moi ; car ce pays, tout sévère qu'il est, a bien des charmes. Il vous retient par d'invisibles lianes, comme ces fleurs des eaux qui n'ont point de racines, et qu'aucun orage ne peut arracher. Dans ce vide qui m'entourait, mes idées prenaient en moi un développement sans bornes, et tout me manquait pour les exprimer.

Il y avait des jours où j'aurais juré que j'étais né pour écrire. J'aurais pu dire à mon tour : et moi aussi je suis poète ! J'entendais des bruits que personne n'entendait ; je voyais des formes que personne ne voyait. Quand je faisais un pas le matin sur la rosée de la grande avenue, il me semblait que la terre et l'eau se lamentaient.

Pendant des journées entières, sur le bord des prés, je suivais des fantômes qui n'ont point de corps ; et il y avait des idées sans noms, sans images possibles dans aucun monde, qui ne me quittaient pas. Mon ame était un véritable pandémonium où s'agitaient des larves qui n'ont jamais eu vie. Peut-être eussé-je été musicien, si j'eusse pu saisir cette harmonie sans souffle et ces soupirs sans voix qui passaient, comme des brises, dans mon coeur. Quand le vent soufflait dans les bouleaux, je rêvais d'ineffables mélodies au fond des bois ; mais ces chants célestes ne dépassaient pas mes lèvres, et je ne sais aucun son qui en puisse donner l'idée. D'autres jours, en m'éveillant, il y avait des heures où je me retraçais malgré moi des images que j'aurais voulu peindre et conserver toujours devant mes yeux. C'étaient des vallées, des paysages, des climats inconnus sur cette terre. Pour les retenir, je ne trouvais non plus ni couleurs, ni lignes, ni dessin. Je bâtissais aussi des architectures prodigieuses qui n'ont nulle part de modèle, des tours imaginaires dans lesquelles je montais et descendais sans m'arrêter jamais. Il y avait des balcons d'où l'on plongeait sur des horizons infinis, des balustrades où s'appuyaient des femmes et des figures d'une autre vie.



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