Un village pourtant si tranquille by Brigitte Varel

Auteur:Brigitte Varel [Varel, Brigitte]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Terroir
ISBN: 9782258041905
Éditeur: Presses de la Cité
Publié: 1995-12-31T23:00:00+00:00

15

La maladie de Madeleine Froment se déclara en fin d’après-midi, déclenchée par la visite de Germaine Blanc et Lucette David. Jalouses de sa proximité avec leur célibataire préféré et de la faveur accordée, par lui, de s’occuper de Dickens, les deux amies venaient aux nouvelles, sans se douter que leurs propos allaient lui être fatals.

Quand elle apprit qu’un égorgeur de chats se promenait dans le village, après s’être fait la main sur les chiens de Louis, Madeleine Froment sentit courir sur sa peau des milliers de picotements à l’idée – ô combien évidente – d’avoir échappé par miracle à l’assassin.

Elle devint rouge, puis verte, puis blanche, et soudain inexplicablement aphone. Sa bouche aux lèvres exsangues s’ouvrait et se refermait, lui donnant l’air sans expression de la carpe, tandis que ses yeux s’agrandissaient et se mouillaient, eux aussi incapables de transmettre tout son malheur. Les deux femmes la virent passer par toutes les couleurs puis se recroqueviller sur elle-même dans le vieux fauteuil recouvert d’un patchwork tricoté maison, une lueur de folie dans ses prunelles fixes.

Elles se consultèrent du regard, en proie à la même stupeur anxieuse, mettant finalement sa réaction sur le compte de sa responsabilité vis-à-vis du chat de Raine. Elles s’emparèrent du matou qui somnolait sur un pouf et le flanquèrent dans les bras de sa maîtresse d’occasion. L’une le maintint solidement, l’autre tapota les joues décolorées. Le traitement n’obtenant aucun effet, Germaine Blanc décida d’employer les grands moyens. Elle lâcha Dickens, qui en profita pour disparaître dans la cuisine en miaulant de protestation, et ouvrit les portes du bahut en chêne qui trônait dans la salle à manger.

Elle connaissait les lieux, l’emplacement de chaque chose et les habitudes de rangement de Madeleine, pour les avoir étudiés et retenus à chacune de ses visites. Sans en avoir l’air, les trois femmes savaient tout l’une sur l’autre.

Triomphante, elle exhiba une bouteille à moitié pleine d’un liquide brunâtre et sollicita l’aide de Lucette. Elles éprouvèrent quelque difficulté à faire glisser du porto entre les mâchoires contractées. Ses couleurs hésitaient à revenir, mais peu à peu Madeleine surmonta le choc et redressa le buste. Par contre, elle eut beau forcer sur ses cordes vocales, aucun son ne s’échappa de son gosier récalcitrant. De concert, les deux amies remplirent deux verres supplémentaires et en avalèrent le contenu d’un trait. Elles eurent un geste identique pour s’essuyer la bouche du revers de la main, puis Germaine proposa d’aller chercher Henri Peyrin.

On ne put soigner que la peur de Madeleine Froment, ignorant la seconde cause de son mal. Mais la connaître n’aurait rien changé ; la médecine avait encore d’énormes progrès à accomplir pour traiter la culpabilité.

Madeleine s’enfonça dans le confort de la punition. La puissance divine la mettait à l’épreuve, mais son mutisme résolvait le problème en suspendant toute révélation intempestive. Comme il était hors de question qu’elle écrive sa confession, il ne lui restait qu’à suivre les recommandations du docteur, en associant une série d’Ave et de Pater au repos et au traitement prescrit.

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