Nous aurions pu être des princes by Anthony Veasna So

Nous aurions pu être des princes by Anthony Veasna So

Auteur:Anthony Veasna So [Veasna So, Anthony]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman, États-Unis, Immigration, Littérature américaine
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2023-02-07T23:00:00+00:00


Le sexe avec Maly

Maly, en général

Fumer de la beuh avec les gars

Regarder des films de kung-fu

La bouffe cambodgienne

La capacité de prendre mes propres décisions

Aujourd’hui, Moine D et moi avons dîné ensemble. Puis, quand il s’est mis à faire nuit, nous sommes allés marcher dans le champ derrière le temple. Des canettes de Coca vides et des sacs en plastique crissaient sous nos pas. L’herbe est jonchée d’ordures, pratiquement sur tout le champ, même si le Nouvel An était en avril et qu’on est maintenant en hiver.

« Tu sais, ai-je dit, avant je pensais que c’était cool que les moines vivent à l’extérieur de la ville. Genre, pour moi, ça leur donnait un côté gangster, un truc comme ça. » J’ai allumé une cigarette tirée d’un paquet que Moine B m’avait donné. « Mais maintenant, je trouve ça triste. On dirait que la ville a décidé qu’il n’y avait pas de place pour le wat.

– Tout est triste. C’est la vie. » Moine D a fourré une cigarette dans sa bouche, mais le briquet ne fonctionnait pas à cause du vent. Il m’a fait signe de l’aider. Nos visages se sont penchés l’un vers l’autre. Nos cigarettes se sont touchées et la sienne s’est allumée.

« Ça craint », j’ai fait, reculant et regardant autour de nous. La dernière fois que je m’étais tenu au milieu de ce champ, je parlais à un recruteur de l’armée. Ce n’était pas la première fois que des recruteurs venaient racoler au Nouvel An cambodgien, mais c’était la première fois que je voyais un mec asiatique dans ce rôle. Je l’ai reconnu, c’était un Hmong qui était quelques classes au-dessus de moi au collège. Il souriait dans son uniforme, ignorant les regards mauvais des papys cambodgiens, qui détestent les Hmong sans raison légitime. Nous nous sommes mis à parler et il a pris de mes nouvelles. Je ne lui ai pas raconté que je cumulais deux boulots de merde, que j’avais abandonné la fac au bout de six mois. J’ai haussé les épaules. « Bah. » Il m’a dit qu’il « pigeait », avant de me tendre un petit paquet de dépliants. Une semaine plus tard, j’ai feuilleté les brochures. Les titres, les sous-titres et les puces étaient super organisés, ça m’a plu. Ils peuvent détailler chaque seconde de l’avenir d’un gars, je me suis dit.

« Tu as une photo de ta copine ? a demandé Moine D.

– Je transporte pas de photos de ma copine dans ma robe de moine.

– Explique-moi comment elle est, alors.

– Laisse-moi finir cette clope. » J’ai jeté un coup d’œil au temple. Toutes les lumières étaient éteintes et on aurait dit une énorme masse noire. Ça paraissait bizarre que les gens s’y rendent pour chercher des réponses à leurs questions, la paix, ou quoi que ce soit, d’ailleurs. J’ai pensé au corps de Maly. Mes mains en coupe sur ses seins quand elle grimpait sur moi, comme elle le faisait toujours. Me sentir à l’intérieur d’elle, avec elle qui m’entourait. La chaleur que je ressentais alors.



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