Les voix du crépuscule by Unger

Les voix du crépuscule by Unger

Auteur:Unger [Unger]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Toucan
Publié: 2012-05-09T22:00:00+00:00


Chapitre 18

Ce n’était pas comme si elle s’était trouvée en eux. Elle ne sentait pas ce qu’ils sentaient, pas exactement. Mais son empathie pour leur détresse était si totale qu’elle endossait un peu de leur terreur et de leur chagrin. Son adrénaline se mettait à fuser. Elle ne lisait pas leurs pensées, pas plus qu’elle ne voyait à travers leurs yeux. Elle était celle qui regarde. Sans être non plus omnisciente ou omniprésente. Eloise avait toujours pensé, bien qu’elle ne sache ni pourquoi ni par qui, qu’un certain point de vue lui était « donné ». Cette perspective était parfois subjective ; parfois, aussi, Eloise était aux premières loges, au centre. Combien frustrant était le manque de consistance de l’angle de vue ! Eloise n’avait aucun contrôle là-dessus. Elle était la simple spectatrice de quelque jeu tordu : forcée de regarder tout en étant incapable de choisir son angle.

Dans le cas de Marla Holt – du moins, elle le supposait (car il arrivait que la personne qu’elle croyait reconnaître en soit en fait une autre) – elle distinguait des sons, ainsi que des images floues et distantes. Eloise entendait sa respiration haletante tandis qu’elle courait entre les arbres. Au-dessus d’elle, le ciel nocturne poinçonné d’étoiles n’était visible qu’au-delà des plus hautes branches des arbres morts. On entendait des voix d’hommes dans le lointain. Eloise ne saisissait pas leurs paroles. Seules étaient perceptibles la colère et la peur dans leurs voix.

La femme franchissait ensuite une rangée d’arbres pour jaillir dans une clairière. Devant elle se dressait un large bâtiment délabré. Elle trébucha et ralentit, comme incapable de courir davantage ; luttant contre une crampe, elle se tenait les côtes. Puis, jetant un regard terrifié derrière elle, elle entra en boitant dans la gueule béante de la structure. Vieille grange ? Église en ruine ? École de village ? Eloise n’aurait su dire.

Deux hommes surgirent. Dans la clairière, ils en vinrent aux mains, et l’un d’eux se retrouva étendu au sol, forme gisante et noire. Celui qui restait pénétra dans le bâtiment. Il y eut le silence, rompu seulement par un hurlement sauvage qui déchira la nuit. Et, de nouveau, le silence. Lorsque tout prit fin, ce fut comme si elle émergeait d’un rêve.

Il fallait parler vite, consigner les choses par écrit, car les détails s’estompaient rapidement. Les bords se repliaient sur eux-mêmes, jusqu’à ce que la vision se mette à voleter tel un morceau de papier enflammé, ne laissant derrière elle que la peur et la tristesse, la souffrance et la solitude – un petit fragment à chaque fois. Chaque fois plus gros. Jusqu’à ce que, les années passant, ces fragments la remplissent tout à fait, faisant d’elle ce qu’elle était devenue aujourd’hui. Semblable au mineur qui disparaît dans les entrailles de la terre, elle ressortait à chaque fois à la lumière avec une parcelle de ténèbres nichée en elle. Cela lui recouvrait les poumons, les organes et le cœur, l’asphyxiant de l’intérieur. Tous les médicaments du monde n’auraient pas suffi à retarder l’inévitable.



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