À la déloyale ! by Kenneth Millar

À la déloyale ! by Kenneth Millar

Auteur:Kenneth Millar [Millar, Kenneth]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature américaine, Policier
Éditeur: Gallimard - Série Noire
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


CHAPITRE VIII

Je suivis la grand’rue jusqu’au Marsouin, qui n’était qu’à une centaine de mètres de l’hôtel. Ruth Esch avait bel et bien son alibi, mais je devais encore m’assurer qu’il était parfait avant de pouvoir enfermer la jeune femme à clef dans le placard qui se trouve au fin fond de mon esprit, avant de pouvoir l’oublier pour de bon. L’enseigne bleue en forme de marsouin était allumée, mais le restaurant était fermé pour la nuit. Presque content de ne pouvoir prêter le flanc à une nouvelle surprise désagréable, je regagnai ma voiture. Les rêves avec lesquels on a dormi pendant six ans ne sont pas si faciles à oublier.

Les seuls objets vivants de la rue étaient les enseignes au néon qui se réverbéraient comme des feux glacés sur les trottoirs. Il y avait cependant un café ouvert de l’autre côté de la rue ; je traversai et pénétrai dans l’établissement. J’avais encore le plexus solaire en compote sous le coup du mot « gousse » ; je commandai un café.

Le garçon me tendit une tasse et me rendit la monnaie sans se réveiller ; il avait l’air de ne tenir debout que grâce à sa veste empesée.

Accoudé à l’étincelant comptoir émaillé, je me brûlai lentement la gorge avec mon café, tout en réfléchissant. Ruth était hors de cause, tout au moins pour ce qui était du crime. Mais l’alibi des Schneider était au moins aussi solide. Peut-être me trompais-je ; peut-être Alec s’était-il complètement trompé. Peut-être Haggerty, Galloway et Helen avaient-ils raison de croire au suicide. Peut-être valait-il mieux que je rentre me coucher.

Non. Moran, l’agent motocycliste avait pu être payé pour protéger les Schneider. Je pourrais aller le voir le lendemain matin. Je décidai d’insister.

Quant à Ruth, pourquoi prendrai-je à cœur les déclarations d’un abominable flic d’hôtel. Comment savoir si les renseignements qu’il m’avait fournis sur les mouvements de Ruth étaient dignes de foi ? Il avait pu être acheté. Il était à vendre. Je ne savais que penser.

Je sortis de ma poche la lettre de Ruth, mais je n’eus pas le cœur de la relire. Je fixai l’enveloppe et mon œil se posa sur le mot taillour. Qu’est-ce qu’Alec avait bien pu vouloir dire ? Etait-ce vraiment pur hasard que taillour signifiât tailleur et que tailleur se dit Schneider en allemand ? Alec était philologue et l’hypothèse d’une coïncidence était peu probable. Pour le moindre de ses calembours, il utilisait toujours deux ou trois langues mortes…

Je fixai le comptoir d’un œil vide ; les mots tournoyaient dans ma tête et la folie commençait à me gagner. Trois tailleurs fous cavalaient en rond dans mon crâne : l’un parlait vieux français, l’autre, anglais médiéval et le troisième, allemand. Le tailleur anglais médiéval qui arborait une barbe noire à la Schneider s’immobilisa soudain et cria dans le récepteur d’un téléphone qui se balançait au bout de son fil : « Ici le Bureau du dictionnaire de moyen anglais. » Il avait le visage éclaboussé de sang noir.

Je sursautai. Hypnotisé par la blancheur éclatante du comptoir, j’avais dû m’assoupir les yeux ouverts.



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