Les copains by Jules Romains

Les copains by Jules Romains

Auteur:Jules Romains [Romains, Jules]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Publié: 2012-02-21T10:55:30+00:00


IV

TROIS COPAINS, ET PLUS

Bénin, Broudier, Lesueur arrivèrent l’un derrière l’autre sur une petite place que signalait un réverbère comique. Ils avaient dîné à Saint-Anthême dans la montagne ; ils s’étaient levés de table aux derniers feux du jour ; ils avaient monté, péniblement, entre des arbres d’une grande noirceur. La lueur de la route les guidait, qui semblait à chaque pas plus indécise et plus imaginaire. Puis, devenus la proie d’un rêve tortueux, ils avaient cru descendre en spirale jusqu’aux entrailles du globe. Bénin, qui possédait un lampion rouge, et qui se flattait de connaître la topographie du Massif Central, avait mené sans mort d’homme cette glissade à tâtons. Broudier et Lesueur à un certain virage étaient bien tombés l’un sur l’autre. Mais les machines s’étayèrent mutuellement de telle sorte qu’ils ne roulèrent pas dans le précipice voisin comme il eût été naturel.

Depuis leur rencontre à la croisée des chemins, ils avaient connu la joie d’être trois.

Pendant la marche, Bénin et Broudier, gardant leurs habitudes, tenaient Broudier la droite, et Bénin la gauche. Lesueur s’était mis simplement à la gauche de Bénin. Ils ramonaient ainsi tout le calibre de la route.

Bénin criait bien de temps à autre :

— C’est dégoûtant ! Vous, vous avez les ornières, vous roulez sur du velours. Et moi je danse sur le dos d’âne !

Mais au fond, il aurait été désolé de céder sa place. Il occupait le milieu du rang ; rien ne passait de Broudier à Lesueur dont il n’eût sa part ; il ne perdait pas une parole, pas un rire. Quelquefois même il répétait à Lesueur une phrase de Broudier que Lesueur avait mal entendue. Il habitait avec bonheur la région la plus riche de l’amitié.

Aussi le monde ne lui importait-il presque plus. Il voyait à peine les paysages. Il n’y donnait un coup d’œil que lorsque Broudier ou Lesueur avait dit :

— Pige-moi cet horizon, si c’est bath !

Et il n’aurait pas été moins heureux sur le plateau d’Orléans.

Car trois copains qui s’avancent sur une ligne n’ont besoin de personne, ni de la nature, ni des dieux.

*

* *

Ils arrivaient donc sur une petite place d’Ambert. Ils avaient erré une demi-heure dans la ville ; et ils perdaient l’espoir de trouver la mairie.

Soudain, un homme parut à un angle de la place. C’était un sergent de ville, le sergent de ville d’Ambert, le gardien de la paix d’Ambert.

Bénin marcha vers lui :

— Pardon, monsieur l’agent, où se trouve la mairie, s’il vous plaît ?

Le gardien de la paix d’Ambert répondit :

— Vous avez un lampion, vous. Mais les deux autres ?

— Excusez-nous, monsieur l’agent, nous formons un convoi ; et d’après les règlements de police, comme vous le savez, le premier véhicule d’un convoi est seul tenu de porter un fanal.

L’agent garda le silence. Bénin reprit :

— La mairie est par ici, sans doute ?

— L’hôtel de ville ?

— Oui.

— Qu’est-ce que vous allez faire à l’hôtel de ville à minuit moins le quart ? Tous les bureaux sont fermés.

— C’est-à-dire que nous nous rendons chez un de nos parents qui habite en face de l’hôtel de ville.



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