Les Bouquets de Noces by Monette Denis

Auteur:Monette, Denis [Monette, Denis]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 9782896442188
Éditeur: Logiques
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

Chapitre 9

Huit années se sont écoulées. Juillet 1979 et Victoire, qui se dirigeait sur ses quarante-cinq ans, s’apprêtait à prendre des vacances. La firme Payot et fils avait maintenant pignon sur tous les continents. Et ce, grâce à la dextérité et le savoir-faire de la vice-présidente qui avait établi l’entreprise comme l’une des plus connues dans le monde entier. Payot père, avide pourtant de richesse et de célébrité, s’inquiétait parfois de l’ampleur de son entreprise.

– Je savais qu’avec vous, Victoire, ce serait la renommée, mais à ce point… Nous devrions peut-être nous contenter de cette prospérité sans nous étendre davantage, avait-il dit à son experte qui lui avait répondu:

– Et le Brésil alors? Nous n’allons tout de même pas négliger une telle offre quand tant de femmes à l’aise de ce pays n’attendent que nos produits.

Une succursale de plus s’ouvrit, grâce aux excellentes négociations de Victoire dont l’ambition était sans fin. Très d’affaires pour le succès des autres, elle l’était beaucoup moins pour sa propre sécurité. Aucune part des profits, ce qu’elle aurait pu réclamer depuis longtemps, Victoire Desmeules travaillait encore… à salaire. Un mirobolant salaire, mais un salaire, rien de plus. Avec vacances payées, bien entendu. Payot père devenu pingre avec sa puissante fortune, ne lui refusait rien de ce qu’elle demandait, mais n’offrait rien de plus quand Victoire se taisait. Pas même un cadeau personnel en passant. Pas le moindre bracelet en or et parsemé de diamants qui aurait pu orner son bras. Et Victoire, passionnée par son travail et comblée par son pouvoir, ne demandait rien de plus.

Toujours belle en plein mitan de la quarantaine, elle n’avait qu’un dépit au fond du cœur. Une vie intime sans succès. Que des échecs derrière elle et de la rancœur jusqu’au fond de l’âme! Que s’était-il passé dans sa vie depuis son second divorce? Rien qui vaille et qu’elle aurait pu inscrire dans un journal intime. Rien… parce qu’il lui arrivait d’avoir honte d’elle-même, quand elle se rendait compte qu’en elle la bête grondait toujours. Victoire avait revu son fils une fois par mois tel que convenu. Chez Mado, sans que Jean-Paul y soit. Mais l’enfant, qui n’était pas attiré par elle, se réfugiait dans les bras de sa tante dès qu’elle se penchait pour l’inviter de ses bras ouverts. Une fois par mois, puis à tous les deux mois. De là, découragée du peu d’affection du petit garçon, elle passa à une fois tous les quatre mois, deux fois par année et, après trois ans, plus rien. Comme si elle avait compris qu’il valait mieux pour lui que l’enfant soit entièrement à son père, à Mado, à sa famille, quoi! Une situation qu’elle avait engendrée dès sa naissance, mais dont elle se défendait en plaidant les circonstances. Victoire avait fait en sorte de s’écarter du portrait, prétextant que c’était pour le bien de l’enfant, sans oser parler de son… soulagement. Mère dénaturée. Ces deux mots de Jean-Paul lui revenaient constamment, mais ils lui semblaient plus attribuables au destin qu’à la réalité.

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