Le Pavillon d'or by Yukio Mishima

Le Pavillon d'or by Yukio Mishima

Auteur:Yukio Mishima [Mishima, Yukio]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature japonaise
ISBN: 978-2070366491
Éditeur: Gallimard
Publié: 1975-07-14T00:00:00+00:00


Alors m’apparut le Pavillon d’Or.

Dans sa pleine majesté. Dans sa grâce mélancolique. Carcasse des fastueuses structures dont subsistaient les dorures écaillées. Toujours net, à cet incompréhensible point de l’espace qui le faisait tout à coup lointain à qui le croyait proche, amical et distant à la fois… Tel il m’apparut.

Maintenant, il obstruait le passage entre moi et la vie vers laquelle je tendais. Pareil d’abord à une miniature, il grandit à vue d’œil jusqu’à recouvrir entièrement le monde qui m’entourait, sans en omettre un détail ni un pouce, comme j’avais vu autrefois, dans la fine maquette du Pavillon d’Or, un Pavillon d’Or gigantesque englobant presque tout l’univers. Il emplissait le monde d’une puissante musique qui finit par receler en elle la signification de l’univers entier. Le Temple d’Or dont, parfois, l’élan vers la nue m’avait si fort ignoré, voici qu’il s’ouvrait à moi, m’octroyait place au sein de sa structure…

Ma compagne s’éloigna soudain d’un glissement si léger qu’elle fut bientôt aussi imperceptible qu’un grain de poussière : le Pavillon d’Or la rejetait ; mais du même coup aussi, la vie que je tentais d’appréhender. Cerné de partout par la Beauté, quel moyen de tendre les bras vers la vie ? La Beauté n’avait-elle pas aussi le droit d’exiger qu’on tînt compte d’elle, qu’on renonçât au reste ? Toucher d’une main l’éternité, de l’autre la vie, est une impossibilité. Si ce qui donne un sens à notre comportement à l’égard de la vie est la fidélité à un certain instant et notre effort pour éterniser cet instant, peut-être le Pavillon d’Or en était-il averti et avait-il voulu, pour quelques brèves secondes, se départir de son indifférence à mon égard ? C’était comme s’il avait pris le visage d’un instant, était venu à moi pour me montrer le néant de ma soif de vivre. Dans la vie, l’instant qui prend couleur d’éternité, nous enivre ; mais le Pavillon d’Or savait bien que cela est sans valeur au prix de l’éternité revêtant l’aspect d’un instant, comme lui-même faisait précisément à cette minute. Et c’est bien dans ces moments-là que l’inaltérable Beauté est capable de paralyser nos vies, de distiller ses poisons dans nos existences. Le Beau momentané que la vie nous laisse entrevoir est impuissant contre pareils poisons : ils le mettent aussitôt en pièces, l’anéantissent et finissent par installer la vie elle-même dans une lumière sale d’anéantissement…

Le temps où la vision m’avait tenu totalement sous son pouvoir avait été très court. Quand je revins à moi, le Temple d’Or avait disparu : il n’était plus, très loin, vers le nord-est, à Kinugasa, qu’une construction, invisible d’où j’étais. L’instant d’illusion où je m’étais senti accepté, étreint par lui, était passé : je me retrouvais étendu en haut d’une colline du parc de Kameyama, sans rien d’autre alentour que l’herbe, les fleurs, le vol monotone des insectes et une fille vautrée dans une pose lascive.

Devant ma soudaine timidité, elle s’assit, me jetant un regard blanc. Je remarquai le mouvement de torsion de ses hanches, tandis qu’elle me tournait le dos.



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