Le Grand vestiaire by Romain Gary

Le Grand vestiaire by Romain Gary

Auteur:Romain Gary
La langue: fra
Format: epub
ISBN: EPUB9782072492327-60495
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2013-02-01T05:00:00+00:00


* * *

1 Sous-titre français de : he lets him have it in the stomach

2 Réunissez-les à nouveau.

DEUXIÈME PARTIE

Les dudules

I

« Je pesais sept livres et demie, à ma naissance », disait Vanderputte. Il se promenait de long en large devant le lit, les pouces dans le gilet ; il avait un air vraiment important. « Et n'oubliez pas que j'ai gagné le concours du plus beau bébé à Ostende, en 1877. » Il avait mis son beau Gestard-Feluche, jeté sur ses épaules le plaid écossais et enfoncé sa casquette, mais ses petites oreilles pointues, ses yeux ronds, ses moustaches et la queue qui traînait par terre le trahissaient : il était un rat, un rat bien nourri, le plus gros rat des villes que j'aie jamais vu. « Et puis après ? fit-il. Nous sommes nombreux dans ce cas-là. D'ailleurs, on peut me mettre dans toutes les mains. Je n'ai jamais voulu me faire photographier pour des cochonneries. » Il s'arrêta devant le lit, sortit un tube de son gousset, dévissa la capsule et me présenta, dans le creux d'une patte, une pilule. « Croquez cela, jeune homme, ordre du médecin. Vous serez d'aplomb en un clin d'œil. C'est très bon, tenez, j'en prends une moi-même... » Il croqua une pilule, en remuant les moustaches. Exquis, dit-il, délicieux ! Et je sentis dans ma bouche le goût amer du médicament. Puis le vieux disparut et je ne vis plus, autour de moi, que le vestiaire abandonné sur les chaises et les fauteuils ; les vestons, les manteaux me regardaient, soupiraient, haussaient les épaules, levaient au ciel leurs manches vides. « Parfaitement, disait Gestard-Feluche, j'ai été jadis un jeune homme comme vous et vous serez un jour un vieux veston comme moi. » « Je ne serai jamais comme vous, jamais ! lui criai-je. Je ferai tout ce qu'il faudra pour cela ! » « Et que faut-il faire pour cela, jeune homme ? » me demandait-il insidieusement. « Je ne sais pas, murmurais-je, je ne sais pas », et Gestard-Feluche criait triomphalement : « Il n'y a rien à faire, mon bon, c'est la vie, c'est la vie, c'est la vie ! » De nouveau, Vanderputte réapparut et se promena devant mon lit, une assiette de porridge entre les pattes. Il paraissait préoccupé. « Les nouvelles sont mauvaises, murmurait-il. Je me demande vraiment si l'Occident... Bien entendu, je suis avant tout un Occidental. J'ai conscience d'appartenir à une certaine élite, à une certaine tradition. Mais je me demande tout de même si Kuhl n'a pas raison et si je ne ferais pas mieux d'adhérer au parti communiste. Simple mesure de précaution. Histoire de surnager. Je me vois très bien comme commissaire au Ravitaillement. Hein ? Qu'est-ce que vous en dites, cher ami ? » Il mangea un peu de porridge. « Avez-vous vu mes photographies ? » Il sortit de la poche intérieure de Gestard-Feluche un tas de cartes postales et me les fourra sous le nez : des rats de toutes tailles et de tout âge me fixaient de leurs yeux ronds.



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