Le grand large by Christiane Rancé

Le grand large by Christiane Rancé

Auteur:Christiane Rancé [Rancé, Christiane]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction, Biographical, Biography & Autobiography, General
ISBN: 9782226460431
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2021-02-09T23:00:00+00:00


XXVII

Je me suis repliée à la campagne, avide de retrouver les miens, mes habitudes, les fêtes de famille, leur rassurant train-train, et avec eux un baume à mon chagrin. Le rendez-vous tant attendu avec moi-même, l’écriture, la poésie, l’inépuisable réconfort de l’océan, je l’avais manqué de façon lamentable, incapable de sauter l’obstacle des vents contraires, des retards portuaires, des tracasseries administratives que j’avais anticipées.

Dans les Pyrénées, la détonation du vent avait mis fin à ce qui s’attardait encore de l’été. La tempête était passée ici aussi. Avec elle, nuées, feuilles, pluies et derniers pétales, tout était parti en trombe dans le ciel crayeux. En une nuit, nous avions bondi dans le mois de novembre. D’un seul coup, j’ai quitté le bel été indien. L’image de mon cargo s’est dissoute avec lui. J’étais de nouveau en automne, en sa lenteur, sa presque immobilité. « Quelle tristesse », m’a dit une amie en remontant du cimetière où chaque année nous condamnons les chrysanthèmes à ne fleurir que les tombes. Je l’ai compris, elle n’évoquait pas mon retour impromptu qui continuait de me hanter, mais cette forme subtile de mélancolie qu’on éprouve plus particulièrement à la campagne, quand il n’en finit pas de crachiner et qu’au jardin, ou ce qu’il en reste, les escargots portent le temps sur leur coquille. On aimerait alors écarter le rideau de pluie, avec l’illusion que du bleu resurgirait dans l’interstice.

Pendant des heures, j’ai tourné en rond dans la maison, plus consciente que jamais de la brièveté des jours – les miens ? – dans leur lueur de chandelle. Je sentais les heures me traverser. Je me pris à rêver d’un nouveau départ pour sentir ce qui m’avait effleurée d’un souffle, ce souffle dont je ne cessais de ressentir la silencieuse caresse. Tout cela, du moins, j’avais à le maîtriser pour m’obliger à dépasser le chagrin, mais encore à comprendre le sens de ce qui m’était arrivé et de ce que j’avais entrevu lors de mon premier voyage, même si mon esprit avait tout de ces constructions de nuages prêtes à s’écrouler à tout instant, à s’évanouir, à s’irréaliser.

J’avais à me ressaisir, à accepter ma défaite, à me faire une raison. Novembre s’y prête, qui n’est pas un mois triste, quoiqu’on préfère souvent fuir cette saison des morts dans les villes, à l’abri factice de leurs éclairages aveuglants. Novembre est grave. Un moment que le hasard et le calendrier me réservaient sans doute pour me conformer aux leçons de mon jardin endormi, qui m’enseignent de cesser toute agitation, toute germination, et de préférer le calme et l’enfouissement de ma nostalgie à mes projections folles et mes déplacements désordonnés.

Cette halte fut un moment particulier et, à bien y réfléchir, tout à fait bénéfique. Ce qu’en musique on appelle une « pause » : un rectangle noir sur la partition pour demander un silence. Temps de repos, d’intimité et d’imploration, ces jours m’invitaient à évoquer les femmes et les hommes qui m’avaient précédée et dont le corps était revenu à



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