Le dernier faiseur d'or by Jean Siccardi

Auteur:Jean Siccardi [Siccardi, Jean]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman historique, Littérature française
Éditeur: Calmann-Lévy
Publié: 2023-03-03T11:15:59+00:00

28

Je range la sacoche dans l’armoire et me laisse convaincre par un repos bienfaiteur. Jean-François Delisle ne commettra pas d’erreurs qui le mettraient en danger. Lorsque les cloches de Sisteron sonnent le midi, je me rince le visage et me dirige vers la salle à manger. Je croise Rose dans l’escalier. Juste un regard et elle se dépêche à l’étage avec des enjambées rapides. Silencieuse et réservée, elle ne répète pas les histoires cocasses des clients de l’auberge. Juliette veille à la discrétion de ses employés. Un merveilleux repas me calme d’une angoisse horrible. J’ai l’impression de glisser sur une pente où jamais je ne me rattraperai. Je dois profiter de ce qui se présente sans me poser de questions. À ma table, qui donne sur le parc, les silhouettes de Rose et de Juliette dansent sous mes yeux. Leurs parfums me confondent. Qui choisir ? La délicate Rose, fuyante dans les couloirs, ou bien Juliette, d’une énergie, d’une passion débordantes, avec sans doute la jalousie d’une maîtresse farouche… En arrière-plan, Louis, un tordu auquel rien n’échappe.

Je me rends aux écuries pour harnacher une bête et me lance vers la cité par les rives de la Durance. Un décor d’arbres et de feuillus m’ensorcelle. La rivière forme des entablements, roucoule dans des vasques naturelles tapissées de lichen et d’ajoncs veloutés. L’octroi, les tours qui encadrent le pont, Sisteron n’est qu’un théâtre de province, une ville où le moindre événement devient une affaire d’État. Le veilleur, planqué dans son échauguette, me dévisage avec un air condescendant et ne m’interpelle pas. J’attache le cheval à un anneau près d’un porche, accède au chemin de ronde et aux quatre enceintes fermées par des ponts-levis. Le rocher de la Baume m’impressionne, il défend le statut et la réputation de la forteresse, une prison politique où en 1639, sur ordre de Richelieu, le prince Jean-Casimir de Pologne, accusé de complot contre la France, a été enfermé dans le donjon. Aucun espoir de libération, ni d’extradition, ni d’évasion. Les martyrs sont internés entre ces murs pour le restant de leur existence. Combien sont-ils de prisonniers et d’innocents dont les gémissements ne franchissent pas les étroites croisées ? Enfermés pour des dénonciations obscures, selon le bon vouloir du prince. Ils évaluent le temps à la rouille qui enveloppe les barreaux carrés et ne souhaitent que la mort.

Je quitte le val Gelé et me laisse avaler par le ventre de la cité. Le claquement de mes bottes intrigue nombre de personnes cachées dans les encoignures des porches. Le dédale des passages me conduit vers les andrones abritant une ombre permanente. Pas le moindre bruit de voix… des pavés brillants d’humidité et des fontaines dégoulinantes d’un trop-plein d’eau. Les mornes corridors constituent un labyrinthe surveillé par le diable qui invite les téméraires à le rejoindre dans ses caves pour déguster un élixir de bienvenue.

Une placette déserte, je remonte un goulet où je ne passe que de profil, descends à nouveau, vire sur la droite, reviens sur mes pas… Un accès tortueux me mène au couvent des dominicains.

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