Le Bruit de la neige by Gilles Lapouge

Le Bruit de la neige by Gilles Lapouge

Auteur:Gilles Lapouge [Lapouge, Gilles]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


La douleur de l’autre

En ce temps-là, je fréquentais des Néo-zélandais. Un d’eux s’appelait Douglas Rupert. Il était grand et il aimait les baleines. Chaque année, il armait son bateau et sillonnait les mers du Sud en quête de délivrer les cétacés emberlificotés par mégarde dans des filets dérivants.

Une fois il avait lutté plusieurs heures dans une mer horrible. Quand il eut déchiré les mailles mortelles, il était exténué. Il manqua de s’évanouir et se réconforta d’un bon repas.

– Nous l’avions bien mérité puisque nous avions rendu la vie à cette pauvre bête.

Je lui ai demandé ce qu’ils avaient mangé.

– Des langoustes. Merveilleuses…

Je me suis gendarmé : comment avait-il eu le cœur, lui si tendre aux baleines, d’assassiner une langouste ? Douglas fut déconcerté. Il ne comprenait pas mon émotion.

– Mais voyons, me dit-il de sa voix rauque, vous oubliez qu’une baleine, comme du reste un mégaptère, un dauphin, un marsouin ou un narval, est un cétacé. Et un cétacé est un mammifère. Les femelles baleines allaitent leurs petits, comme les femelles des hommes. Vous comprenez ? Mais une langouste, allons donc ! Avez-vous jamais vu une femelle langouste donner le sein ? Ha ! Ha ! Ha ! Ce n’est pas du tout un mammifère. Une langouste, c’est un arthropode…

J’ai évoqué la question du racisme. L’amour des autres, notre compassion à la douleur universelle nous commandent d’aimer tout être humain, les Cafres et les Inuits, les messieurs boshimans ou les dames damascènes, les Zambéziens et les Corréziens, comme aussi tout être vivant, lapin, écureuil, hyène ou rhinocéros. Ou arthropode.

Le chagrin de l’autre, ai-je dit pédantesquement, est sacré, c’est un absolu, non un relatif, quelle que soit la trombine de cet autre, et peu importe que cet autre ait deux pieds, dix pieds, ou même cinquante pieds, que ses yeux soient des globes ou des facettes, que son corps soit protégé de chitine ou de plumes.

Dans ma fougue, j’ai cité une phrase de Victor Hugo, consacrée à la douleur des araignées et des orties, mais Victor Hugo, Douglas s’en souciait comme d’une pomme. J’ai invoqué Brassens qui montre une belle sensibilité au chagrin de l’autre puisqu’il choisit de faire l’amour aux filles délaissées (« Cette fille est trop vilaine / Il me la faut… »).

Douglas a eu un rire assez désobligeant pour Brassens. Il réitéra qu’il aimait bien manger les langoustes, voilà tout, et le reste était littérature.

À ce moment-là, j’ai trouvé un peu par hasard, sous le coup de la colère, une idée que j’ai aussitôt exprimée (peut-être avec un peu de précipitation, même). J’ai dit à Douglas que nous ne méritons le beau nom d’homme que si nous partageons le malheur du « lointain », pas seulement celui du « prochain ». C’est trop facile de souffrir si votre mère meurt ! C’est un jeu d’enfant ! À la portée du premier venu ! Mais souffrir si votre ennemi souffre, « voilà ce que j’appelle vertu, mon bon Douglas ! ».

Le débat s’est envenimé. J’ai dit à Douglas que



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