Orages d'acier by Ernst Jünger

Orages d'acier by Ernst Jünger

Auteur:Ernst Jünger [Jünger, Ernst]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Orages d'acier
Publié: 2012-03-29T09:59:56+00:00


LANGEMARCK

Cambrai est une petite cité paisible et somnolente de l’Artois, au nom de laquelle s’attachent bien des souvenirs historiques. Des ruelles étroites et vieillottes courent en dédale autour de l’énorme hôtel de ville, des portes rongées par les siècles et des nombreuses églises, dont l’une, la plus grande, a vu prêcher Fénelon. Des clochers pesants se dressent au milieu d’un fouillis de pignons pointus. De larges avenues mènent au jardin public, bien entretenu, qu’orne un monument à Louis Blériot.

Les habitants sont gens tranquilles et cordiaux, qui mènent dans leurs grandes maisons, simples d’apparence, mais richement meublées, une existence toute de bien-être. Beaucoup de rentiers y passent le soir de leur vie. La petite cité est surnommée avec raison « la ville des millionnaires(26) », car juste avant la guerre, on y comptait quarante de ces Crésus.

La grande guerre arracha ce trou de province à son sommeil de Belle au bois dormant et le mua en foyer de luttes gigantesques… Une vie nouvelle, nerveuse, ébranla les pavés inégaux et fit tinter les petites fenêtres, derrière lesquelles étaient apostés, aux aguets, des visages inquiets. Des étrangers vidèrent les caves garnies avec amour, se jetèrent dans les immenses lits d’acajou et, de leurs allées et venues, troublèrent le calme contemplatif du rentier.

Les compagnies étaient cantonnées dans une caserne ; les officiers avaient leurs logements rue des Liniers. Cette rue prit de notre présence une allure de Quartier Latin ; bavardages généraux aux fenêtres, chansons nocturnes, petites aventures, tels étaient nos passe-temps.

Tous les matins, nous partions pour l’exercice sur la grande esplanade qui touche au village de Fontaine, qui depuis devint célèbre. Je ne participai pas au service de bataillon, car le colonel von Oppen m’avait donné mission de constituer et d’entraîner une troupe de choc. Les volontaires s’étaient présentés en nombre ; je donnai la préférence aux compagnons de mes reconnaissances et de mes patrouilles.

Mon gîte était confortable ; mes hôtes, un couple d’orfèvres très aimable, les Plancot-Bourlon, laissaient rarement passer un déjeuner sans m’envoyer dans ma chambre quelque bon morceau. Nous occupions nos soirées ensemble devant une tasse de thé, à jouer au jacquet et à bavarder. Bien entendu, une question épineuse revenait souvent sur le tapis : pourquoi faut-il que les hommes se fassent la guerre ?

Au cours de ces heures, le brave M. Plancot nous narra maints bons tours des bourgeois de Cambrai, toujours de loisir, toujours facétieux, qui avaient en temps de paix provoqué de grands éclats de rire dans les rues, dans les estaminets et au marché, et qui me rappelèrent vivement le délicieux oncle Benjamin(27).

C’est ainsi qu’un jour, un plaisant avait envoyé à tous les bossus des environs une invitation à comparaître devant un certain notaire pour une importante affaire d’héritage. Caché à une fenêtre de la maison d’en face, il se délecta à l’heure prescrite, avec quelques amis, de ce spectacle : dix-sept nabots furieux et braillards assaillant de leurs récriminations l’infortuné notaire.

Une bonne histoire était celle d’une mijaurée sur le retour qui demeurait en face et se distinguait par un col de cygne bizarrement tordu de côté.



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