…Parigot, tête de veau by Villers Claude

…Parigot, tête de veau by Villers Claude

Auteur:Villers, Claude
La langue: fra
Format: epub
Tags: Autobiographie, Récits
Éditeur: Denoël
Publié: 2007-05-14T16:00:00+00:00


Selon la tradition, ma marraine m’avait offert un stylo à plume. Un Waterman avec un système à pompe pour remplir le réservoir. J’y voyais un signe pour ma future carrière de journaliste ! Encore qu’elle me semblait bien compromise par la détermination de mon père à me voir embrasser un « vrai » métier. « Pas question d’aller au lycée, c’est pas pour les gens comme nous… » Alors, pas d’examen d’entrée en sixième comme les copains. « Tu comprends, toi, t’es fils unique, alors on n’a pas droit à une bourse ! »

À la rentrée, j’avais repris le chemin de mon école, sans enthousiasme, sauf que maintenant, une fois par semaine avec le prof de gym, on allait, en rang, prendre le métro pour nous rendre à la piscine la plus proche (celle de la rue Blomet [214] était encore fermée), c’est-à-dire la piscine Lutétia, à côté de l’hôtel du même nom. Un long trajet, mais direct, de Convention à Sèvres-Babylone [215]. Dans la rame, pas question de s’asseoir sur les banquettes. Sinon les anciens combattants bardés de décorations s’emportaient : « Dis donc, mon petit bonhomme, c’est pour toi que je me suis battu en 14… », disaient-ils en brandissant les revers de leurs vestons ornés de rubans multicolores. Et le prof de nous fusiller du regard. Au bout des bras, on avait nos sacs marins, fermés par un cordonnet avec, bien pliés, une serviette et le maillot, mais aussi une banane et des portions de Vache qui rit ou de Vache sérieuse au jambon pour « après », car pas question avant. Il ne faut pas se baigner moins de trois heures après avoir mangé, disait ma mère comme toutes les autres.

On sortait de terre près du square, devant le Bon Marché, on traversait la rue de Sèvres puis le boulevard Raspail [216] et on était à pied d’œuvre.

Officiellement, nous étions censés y apprendre à nager. Mais je faisais partie du petit nombre qui savait déjà. Ayant appris avec ma mère, le soir, après son boulot et le moniteur du Club du ministère, à la piscine Molitor [217], porte du même nom, face au lycée (pour filles) La Fontaine [218]. Alors, à Lutétia, après quelques brasses pour montrer notre savoir-faire, on nous foutait la paix. Sauf quand on nous voyait courir sur le bord du bassin ou pousser à l’eau ceux qui se trouvaient trop près. Les coups de sifflet des maîtres-nageurs, amplifiés par les mosaïques des murs, nous rappelaient rapidement à la raison.

La raison –, leur raison ! – et la nôtre se trouvaient à des années-lumière. Ils ne représentaient que leur passé avec ses principes boursouflés, ses coutumes fissurées, ses rites craquelés, alors que l’avenir nous appartenait. Nous allions initier un monde nouveau, dégagé des contraintes qu’ils nous imposaient. Pour nous, le futur libéré, c’était surtout ne pas avoir à justifier nos moindres gestes, nos moindres absences ou retards. Qu’alliez-vous croire ! Que 1968 pointait déjà sous 1956 ! Bien que…

La première revendication alors, c’est déjà de ne plus être obligé de porter des culottes courtes et des sandalettes ou des pantalons de golf ! Tout



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