1994 by Meddi Adlène

1994 by Meddi Adlène

Auteur:Meddi, Adlène [Meddi, Adlène]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Rivages
Publié: 2018-09-21T04:00:00+00:00


1962

« JE SAIS QUE C’EST TOI QUI NOUS AS VENDUS. »

21

– On les tue ?

La question ricocha comme une balle folle contre les murs humides de l’ancien abri antiaérien de la rue Bugeaud à El-Harrach.

Hadj Brahim respira profondément en regardant l’entrée de l’abri, vers l’obscurité des premiers cinquante mètres sous la voûte souterraine. La faible lumière jaune de la lampe à gaz n’éclairait que leur réduit au fond de l’abri, creusé sous les escaliers menant au quartier de Belle-Vue. Hadj Brahim scrutait cette obscurité comme si elle pouvait lui offrir une réponse à la question fatale. Puis il porta son regard noir sur les deux hommes haletant après les coups, à genoux et attachés les mains dans le dos, face au mur suintant l’humidité. Il palpa en même temps son MAT 49 accroché à son aisselle.

– Dis, Hadj ?

L’ombre de l’homme qui revenait à la charge se détachait sur le mur au-dessus des trois prisonniers. Son chapeau travestissait sa silhouette. Une tête plus arrondie, monstrueuse, comme une projection de l’ange de la mort au-dessus des captifs qui attendaient leur sentence.

Son ombre le faisait paraître plus grand, lui qui était tout juste sorti de l’adolescence, la voix encore mal assurée, lui qui réclamait la sentence de son chef de cellule.

Agacé, Hadj Brahim regarda l’autre en face. Un gamin, ce Zoubir. Face à lui, le vétéran de la Seconde Guerre mondiale, de la campagne de Monte Cassino, le tout premier à avoir monté des cellules de tueurs FLN à El-Harrach. Un soldat. Mais un soldat dans une armée d’ombres.

Dehors, la ville vivait. Ou presque. L’après-midi battait son plein. Dans le chaos et la colère. Assurément, les paras étaient partout.

Les ambulances. Les cris des femmes. Les habitants des quartiers européens, échauffés par la terreur, criaient vengeance. Peut-être, comme d’habitude, des cireurs de chaussures ou des porteurs seraient lynchés. Des gamins. Eux aussi, Hadj Brahim les comptait. Eux aussi le hantaient. Mais c’était la guerre. Rien de tout ce vacarme n’atteignait le silence glacial de l’abri scellé, dont des « frères », fonctionnaires de la commune, avaient filé le double des clés aux combattants du FLN. Ces « frères », des anciens de Monte Cassino aussi, recrutés par la municipalité pour leurs faits d’armes. Ils aidaient comme ils pouvaient, par conviction ou par peur, Hadj Brahim n’en avait cure maintenant. Fini les scrupules. Il pensait aux feux de barrage de mortier sur le front italien. Il pouvait même entendre le fracas des projectiles fendant les lignes alliées. Et il se rappelait bien comment, alors qu’il était éclaireur, il avait caché à son capitaine français l’imminence d’un tir allemand, juste pour le voir se désintégrer sous un projectile de mortier ennemi. Ennemi ? Ennemi de qui ? C’était la conscription obligatoire pour défendre ceux qui les humiliaient chaque jour. Il n’y avait pas plus aléatoire, plus souple et compréhensif qu’une ligne de front.

Hadj Brahim sentit que le jeune homme s’impatientait. Mais dans tous les cas, ils étaient bien obligés de rester cachés au moins une journée dans l’abri.



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