L’Abbaye des cent péchés by Marcello Simoni

L’Abbaye des cent péchés by Marcello Simoni

Auteur:Marcello Simoni [Simoni, Marcello]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 2749929172
Éditeur: Michel Lafon
Publié: 2016-10-19T22:00:00+00:00


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Après les chants de la neuvième heure, Gualtiero se décida à retourner à la roulotte. Il aurait préféré s’attarder encore un peu, attendre que s’apaisent la colère et le ressentiment, mais l’accord conclu avec l’abbé lui interdisait de céder trop longtemps à l’oisiveté. Il avait une idée en tête : un dessin élaboré qui exigerait des heures d’effort. En outre, il ne connaissait qu’un seul moyen de fuir vraiment le chagrin : s’absorber dans le travail.

« Pourvu que mon père n’ait pas décidé de me mettre des bâtons dans les roues ! » songea-t-il en quittant son lit d’herbes folles. Il se mit en route sous le soleil d’après-midi. La Française occupait encore ses pensées. Elle était partie fâchée et il en était déçu. Il avait laissé les mots s’échapper trop vite de ses lèvres. Mais c’était dû à la surprise : un visage exquis se cachait sous le masque crasseux aperçu le matin.

Et puis ces yeux…

Gualtiero, qui était sensible à la moindre nuance de couleur, songeait à ces iris extraordinaires. L’un était bleu, et l’autre, vert. Il n’avait jamais rien vu de tel. Cette étrangeté le fascinait et le déstabilisait en même temps. Comment une telle chose était-elle possible ? Selon les règles de l’art, il y avait là une aberration. Aucun artiste n’aurait accepté de peindre un visage affecté de deux iris de couleurs différentes ! Le phénomène eût risqué de trahir une âme ambiguë, voire diabolique.

Le garçon, pourtant, avait envie de revoir l’inconnue. Car il savait maintenant que cette bizarrerie pouvait receler de la beauté.

À la roulotte, il trouva seulement sa mère. Elle rangeait l’intérieur que Sigismond, dans sa rage, devait avoir mis sens dessus dessous.

« Où est-il passé ? demanda Gualtiero.

– Allons, tu le connais, répondit Sapia avec un triste sourire. Il est allé délivrer son esprit en ébullition. »

Le garçon se rappelait un village, non loin de là, aux frontières de l’Insula Pomposiæ. Sigismond devait s’être mis en quête d’une taverne. « Je suis désolé, je n’avais pas l’intention de…

– C’est ton père, dit-elle d’un ton qu’elle voulut apaisant. Il m’a tout raconté. Crois-moi, il est fier de toi ! Cependant tu ne dois pas oublier ce qu’il a dû supporter jadis. Il a longtemps travaillé aux ordres d’un patron qui le volait sur le mérite et sur les gains. Aujourd’hui, il a conquis son indépendance. Et il veut être à la hauteur de son titre de maître peintre, à tout prix.

– Quitte à faire de l’ombre à son fils ? répliqua le garçon.

– Il craint que tu ne manques d’expérience », ajouta-t-elle en lui caressant la joue.

Gualtiero prit la main de sa mère et la serra entre les siennes. C’était un geste d’amour, mais il redoutait aussi qu’elle ne tente de le dissuader. « J’ai plutôt l’impression qu’il prend plaisir à m’empêcher…

– Tu es injuste, rétorqua Sapia d’un ton de reproche. Qui t’a appris ce que tu sais ?

– Ça ne suffit pas. » Il prit sur le chevalet le portrait exécuté la veille, et le présenta à sa mère pour qu’elle l’admire.



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