Courts-circuits by Etienne Klein

Courts-circuits by Etienne Klein

Auteur:Etienne Klein [Etienne Klein]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Gallimard
Publié: 2023-03-18T04:45:21+00:00


Existence, action et réflexion, même combat

Certaines âmes vont à l’absolu comme d’autres vont à la mer.

Henry de Montherlant

Arrêté et emprisonné à plusieurs reprises, évadé chaque fois sauf la dernière, Cavaillès ne renonce jamais, ni à l’action la plus subversive ni à la réflexion la plus abstraite. Pour lui, les deux avancent de conserve, « se tiennent ensemble », si l’on peut dire. L’action ne découle pas de la réflexion, elle la précède et la féconde. La pensée n’est pas représentation ni contemplation passive, mais processus, cheminement, enchaînement de concepts qui s’éprouvent au contact du réel.

Loin d’être tenté, comme d’autres, de « conserver son cerveau pour la France », autrement dit de se ménager en attendant des jours meilleurs, Cavaillès se trouve comme porté par l’obligation d’une guerre à outrance, signifiant pour lui un engagement à la fois total et détaché, propre à allier action concrète et activisme intellectuel. En 1942, loin des livres, dans la solitude héroïque d’une prison (celle de Montpellier), il écrit un ouvrage unique en son genre, intitulé Sur la logique et la théorie de la science19, qui se présente comme une sorte de testament philosophique. Lorsqu’il sera publié, après la guerre (en 1947), il ébranlera et influencera durablement la scène intellectuelle par sa puissance.

Sa haine de l’oppression lui fait prendre tous les risques, sans qu’il rédige pour autant la moindre ligne sur « l’engagement », contrairement à quelques autres qui sont intarissables sur ce sujet mais ne s’engagent guère. Et le 28 août 1943, son histoire bascule. Trahi par l’un de ses agents qui a été « retourné » pour cinquante mille francs, Jean Cavaillès est arrêté à Paris, en pleine rue, entre les gares du Luxembourg et de Port-Royal, par des agents du service Léopold (l’antenne parisienne du contre-espionnage allemand), puis emprisonné. On le libère en octobre, mais c’est dans le seul but de le prendre en filature. Arrêté de nouveau quelques semaines plus tard, il est mis au secret à la prison de Fresnes pendant plusieurs semaines, puis transféré à Compiègne. Interrogé une douzaine de fois, durement frappé à l’occasion, il ne parle pas, ne livre aucun nom. Accusé d’avoir déployé « des activités de grande ampleur contre les forces d’occupation », il est finalement condamné à mort le 4 avril 1944 par un tribunal militaire allemand et fusillé le lendemain même, à Arras.

Lorsque l’un des « instructeurs » lui demande d’expliquer les mobiles de son engagement dans la résistance, il répond qu’« il est fils d’officier, qu’il a appris de son père à aimer son pays, et qu’il a trouvé dans la continuation de la lutte un apaisement à la douleur de la défaite ». Il ajoute qu’« il a toujours été un grand admirateur de l’Allemagne, de l’Allemagne de Kant et de Beethoven » et, développant sa position philosophique, il démontre qu’« il réalise dans sa propre vie la pensée de ces maîtres allemands20 ».

Jean Cavaillès apparaît ainsi comme un intellectuel que ses références philosophiques ont conduit, par la voie la plus



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