Classe unique by Roger Judenne

Auteur:Roger Judenne [Judenne, Roger]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction
ISBN: 9782812926136
Éditeur: De Borée
Publié: 2019-09-26T22:00:00+00:00

XVI

Session extraordinaire pour tous

Jacques a été sensible à la confiance manifestée par les maires à l’issue de la réunion à Chambray. Dans la semaine qui suit, il s’efforce de faire abstraction de l’attitude décevante de Duval et refuse de se laisser démoraliser. C’est un obstacle majeur, mais Jacques se force à distinguer Duval et le maire de Colville. Le premier bonhomme s’oppose à Leclerc et Chantoiseau pour assouvir une sorte de vengeance. Le second ne peut pas être foncièrement opposé à l’idée d’assurer l’avenir de l’école publique. Aussi Jacques se lance dans la constitution d’un solide dossier. Il contacte tous ses collègues enseignants pour recueillir leur point de vue et les effectifs actuels de leurs écoles respectives. Ses collègues secrétaires de mairie lui fournissent, année par année, les listes des enfants nés entre 1966 et 1972, c’est-à-dire les effectifs potentiels d’une éventuelle maternelle et les prévisions pour les trois années suivantes. De quoi faire des projections jusqu’à la rentrée 1978. Il interroge également les élus pour anticiper de nouvelles constructions et l’installation de jeunes familles avec enfants.

Il passe des heures à résumer son étude dans des tableaux remplis de chiffres, rédige une note de synthèse sur la position de chaque maire et de chaque enseignant, note les aspirations des parents, constitue un dossier dactylographié d’une trentaine de pages qu’il va présenter à l’inspecteur un jeudi matin.

— J’ai essayé d’être le plus objectif possible, expose-t-il à M. Thibault. Cette étude reflète la réalité du terrain.

— Cher monsieur Gaubert, il ne me viendrait pas à l’esprit de vous soupçonner de vouloir leurrer les décideurs dans le seul but d’arracher un regroupement pédagogique.

— Chambray, Mélicourt, Viéville constituent le noyau dur du projet. J’ai inclus la commune de Colville, en indiquant très honnêtement que la position actuelle du maire laisse planer une incertitude sur la décision finale.

— À cause de Mme Gastégui ?

— Non. À cause du maire. Il s’entend mal avec les autres maires. Il faut discuter.

— Ah…

— Hollainville et Harvilliers se sont engagés à rejoindre le regroupement dans un an, après le départ en retraite de M. Letrou.

— Même à un an de la retraite, il pourrait faire l’effort de rentrer dans le jeu…

— J’ai aussi mentionné tous les renseignements concernant Fresnay, Heudicourt et Brétigny, trois communes où personne ne me semble s’être sérieusement posé la question de l’avenir de l’école. Elles doivent avancer dans leur réflexion.

L’inspecteur feuillette le dossier, survolant les paragraphes sans vraiment les lire. Au détour d’une phrase piquée ici ou là, il fait une moue qui ne rassure pas Jacques. Le temps paraît long.

— Je ne peux me prononcer à la légère, dit M. Thibault. Il faut que j’étudie ce dossier dans tous ses détails. Une chose est sûre : le temps presse. Je vais saisir en urgence les services de l’inspection académique pour vérifier tous ces éléments. Je téléphonerai à votre maire dès que possible.

L’inspecteur se lève. Jacques l’imite. M. Thibault contourne son bureau. L’entretien est terminé et Jacques ressent une incertitude qu’il a du mal à supporter :

— Je vous sens sceptique… ose-t-il.

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