Béatrice en enfer by Didier Decoin

Auteur:Didier Decoin [Didier Decoin]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Lieu commun
Publié: 1983-12-31T23:00:00+00:00

Haute Cour de justice

5 mai 1982

9 :30 AM

Juste avant que le juge Lee prenne place sur son estrade, Me Kumar se tourne vers Béatrice.

Hier, sa jeune cliente était fraîche et radieuse. Trop. C’était à la limite de l’insolence, pour une aspirante condamnée à mort. Ce matin, des cernes violets lui mangent le dessous des yeux et elle a une façon émouvante de baisser la tête. Ça, c’est mieux.

B.T.H. Lee ouvre l’audience et rappelle le superintendant Thomas Mathews à la barre des témoins pour un nouvel interrogatoire.

« Monsieur Mathews, quand avez-vous délivré l’avertissement à l’accusée ? Quand lui avez-vous dit : Il est de mon devoir de vous prévenir, etc. ?

– Eh bien, dit posément l’officier (aucune raison de s’affoler, il a eu toute la nuit pour peaufiner ses réponses), immédiatement après avoir découvert les sachets de substance brunâtre dans la valise. Oui, je suis formel, ça s’est passé tout de suite à ce moment-là. Et après, je lui ai demandé : “Qu’est-ce que c’est que ça ?” et elle m’a répondu : “N’importe qui peut voir que c’est de l’héroïne”. »

« Ça continue ! pense Béatrice avec une rage désespérée.

Encore leurs petites conneries qui n’ont rien à voir. Ils n’en viendront jamais à la seule chose qui compte, alors ? Ils ne veulent pas parler d’Eddy Tan ? »

Et elle serre très fort le bras de sœur Nicole :

« Vas-y, c’est le moment, sors-moi une de tes histoires drôles, je t’en supplie, parce que je sens que je vais hurler. »

La religieuse esquisse un sourire, approche sa bouche de l’oreille de Béatrice et, comme si elle traduisait :

« A Marseille, c’est Marius qui rencontre Olive et... »

Elle s’interrompt : Kumar s’est dressé, si vivement qu’il n’a pas pris le temps, cette fois, de décapuchonner son stylo :

« Plaise à la cour, Votre Honneur ! Je désire poser une question au témoin.

– Pas d’objection pour moi, dit le procureur Azmi avec indifférence.

– En ce cas, dit B.T.H. Lee, posez votre question, Maître.

– Monsieur Mathews, attaque l’avocat, la vérité est que vous avez effrayé l’accusée en lui laissant entendre que, si elle ne reconnaissait pas qu’il s’agissait de drogue, elle n’aurait aucune chance de s’en tirer et devrait courir le risque d’être condamnée à mort. »

Le superintendant s’accroche à la barre comme un noyé. Il est sincèrement choqué :

« A aucun moment je n’ai influencé personne de quelque manière que ce soit !

– En êtes-vous bien sûr, monsieur Mathews ? » L’officier va pour répondre, mais l’avocat se désintéresse de lui. Il se tourne vers B.T.H. Lee :

« Votre Honneur, je demande quinze minutes de suspension d’audience. »

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