Avant le bouleversement du monde by Claire Messud

Avant le bouleversement du monde by Claire Messud

Auteur:Claire Messud
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Gallimard
Publié: 2019-05-14T22:00:00+00:00


Lorsque le samedi après-midi arriva, Virginia était prête à sortir de son lit. Les événements qui s’étaient produits quelques jours plus tôt semblaient s’être éloignés dans un passé nébuleux, avoir eu lieu des semaines ou des mois auparavant. Elle savait qu’elle avait beaucoup dormi et que, si elle n’avait envie que d’une seule chose, continuer à dormir, il y avait une raison à cela. Mais elle ne savait pas exactement quelle était cette raison, et l’espèce de femme-tronc énervante qui lui servait de mère ne voulait pas le lui dire.

« Tu es un peu épuisée, c’est tout, Ginny, répétait-elle sans cesse, tout en tirant les draps sous le menton de Virginia et en essayant de l’empêcher de se lever. Tu t’es surmenée. Et le docteur t’a prescrit ça. » Sur ce, elle plaçait prestement sur la langue horrifiée de Virginia un comprimé bien lisse, semblable à du plastique, et la gorgeait d’eau.

En fin d’après-midi, il ne lui parut tout simplement plus possible de rester au lit. Lorsque, une fois de plus, sa mère vint la voir et commença à tripoter les draps, Virginia quitta sa position allongée en se coulant sur le ventre – aussi glissante qu’un poisson, se dit-elle – et trouva le sol avec ses pieds. Rien de ce que put dire Mme Simpson n’arriva à la dissuader de se faire couler un bain et de préparer ses vêtements, puis d’annoncer que, une fois habillée, elle irait voir le pasteur.

Sur ce, Mme Simpson se contenta de lever les bras au ciel et de marmonner quelque chose d’incompréhensible à propos des lieux où même les anges n’approchaient qu’en tremblant, ce dont Virginia eut à peine conscience car c’était l’instant où elle glissait, concentrée, son corps osseux – une fois de plus, elle le nota, avec une aisance ichtyoïde – dans une eau qui s’avéra beaucoup trop chaude. Lorsqu’elle fut enfin habillée, elle avait beaucoup moins envie de s’aventurer dehors. Une sorte d’hébétude s’était emparée d’elle pendant qu’elle attachait ses sandales. Mais il suffit que Mme Simpson lui demande si elle pensait que sa sortie était vraiment raisonnable et nécessaire pour qu’elle s’obstine.

L’église était silencieuse et déserte. En semaine, pour un passant, elle aurait pu paraître désaffectée, avec ses massifs d’arbustes mal entretenus, l’aspect terne du panneau sali par les graffitis où figurait son nom et l’abondance des crottes de pigeon sur son seuil. On aurait pu aussi la décrire comme abandonnée, si on n’avait pas su, comme Virginia, que le dimanche matin ramènerait la vie, une ferveur et une animation renouvelées.

Saint-Luke était une église délabrée de style rural, à laquelle on avait accolé, de chaque côté du bâtiment d’origine, pour l’agrandir, de minables et hideuses annexes aux vitres hexagonales, modernes, pourvues de rideaux marron défraîchis. Une des deux, la plus visible depuis la rue, était dédiée à l’école du dimanche et offrait à la vue du piéton observateur des poufs miteux remplis de billes de polystyrène et des représentations naïves au crayon de couleur du Christ parmi ses disciples.



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