23 Chroniques de Ford County (v2) by John Grisham

23 Chroniques de Ford County (v2) by John Grisham

Auteur:John Grisham [Grisham, John]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Robert Laffont
Publié: 2009-09-15T00:00:00+00:00


Huit ans après

Cette rencontre était sans doute inévitable dans une ville de dix mille habitants. Tôt ou tard, on finit par croiser tout le monde, même ceux dont on a oublié le nom depuis des lustres, mais dont le visage reste vaguement familier. Il y a des patronymes et des physionomies que l’on retient et qui résistent à l’érosion du temps alors que d’autres, non sans raison, s’effacent presque aussitôt de notre mémoire.

Pour Stanley Wade, cette rencontre fut provoquée, entre autres, par la grippe interminable de sa femme conjuguée à son besoin de s’alimenter. Après sa longue journée de bureau, il avait appelé pour prendre de ses nouvelles et savoir ce qu’elle avait prévu pour le dîner. Elle lui avait sèchement répondu qu’elle n’avait pas plus envie de faire la cuisine que de manger. S’il avait faim, libre à lui de passer au supermarché. Bien sûr qu’il avait faim, quelle question ! Ils convinrent rapidement qu’une pizza congelée ferait l’affaire (c’était le seul plat que Stanley était capable de préparer et la seule chose qu’elle aimerait peut-être grignoter), à la saucisse et au fromage de préférence. Et surtout, qu’il rentre par la porte de la cuisine et qu’il empêche les chiens d’aboyer, ajouta-t-elle, au cas où elle se serait endormie sur le canapé.

L’alimentation la plus proche était le Rite Price, un vieux magasin discount, non loin de la grand-place, avec des allées crasseuses, des produits bon marché et des cadeaux publicitaires de pacotille qui attiraient les classes populaires. La plupart des Blancs qui se respectaient préféraient aller se servir au nouveau Kroger, au sud de la ville, pas du tout sur son chemin. Il ne s’agissait que d’une pizza congelée. Alors quelle importance ? Ce n’était pas comme s’il cherchait des aliments frais. Il avait faim et voulait juste rapporter chez lui de quoi se caler l’estomac.

Sans prendre de caddie ni de panier, il se dirigea droit vers le rayon congélation où il sélectionna une pizza de trente-cinq centimètres de diamètre au nom italien et à la fraîcheur garantie. Il refermait la porte vitrée lorsqu’il perçut une présence tout près de lui, quelqu’un qui l’avait suivi et dont il sentait pratiquement la respiration. Quelqu’un de bien plus costaud que lui. Et qui ne s’intéressait pas du tout aux produits congelés, du moins en cet instant. Stanley pivota sur sa droite et se retrouva nez à nez avec un visage hostile et narquois, vaguement familier. L’homme, nettement plus carré que lui (Stanley était mince, presque frêle, pas le moins du monde sportif), devait avoir une quarantaine d’années – soit dix de moins que Stanley – et mesurer dix bons centimètres de plus.

— Vous êtes bien maître Wade ? demanda l’inconnu sur un ton plus accusateur qu’interrogatif.

Même cette voix ne lui était pas étrangère : bizarrement haut perchée pour un homme aussi massif, avec des intonations paysannes sans être pour autant dénuée d’éducation, une voix qu’il avait, sans conteste, déjà entendue.

Stanley en déduisit avec justesse qu’ils n’avaient pu se rencontrer qu’au cours d’un procès.



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