Vision(s) du Monde by Christian Grataloup

Auteur:Christian Grataloup [Christian, Grataloup]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Armand Colin
Publié: 2018-08-15T00:00:00+00:00

UNE LECTURE DU MONDE SOUS FORME DE DYADE

En 1985, Kenichi Ohmae, Japonais, spécialiste vedette de la stratégie des entreprises, utilisa le mot « Triade » pour désigner la nouvelle configuration de l’économie mondiale20. Le succès fut considérable et le terme envahit le journalisme économique et géopolitique et même les programmes et manuels scolaires. Ohmae formalise alors la stratégie globale que doivent prendre, selon lui, les entreprises, et cette globalité passe par une implantation dans les trois pôles mondiaux, les États-Unis, l’Europe occidentale – ce qui n’est pas alors original – et, ce qui est plus nouveau, le Japon. Depuis, l’expression a perduré en glissant du Japon à la Chine. Pourtant, la montée en puissance d’autres régions du Monde, les BRICS, selon l’expression née en 2001 sous la plume de Jim O’Neill, économiste chez Goldman Sachs (cf. chapitre 3), pourrait sembler invalider l’idée de Triade ; elle a pourtant la vie dure.

La multiplication des « G » suivis d’un nombre (en 2018, outre le G8-1 et le G5 des BRICS, existent deux G20, l’un regroupant les 19 plus grandes puissances + l’Union européenne, l’autre propre à l’UE, un G33, association de PVD, un G10 de soutien au FMI…) n’est pas sans conforter l’idée de multipolarité. Mais la formule de la Triade est loin d’avoir disparu, tant elle semble résumer la montée en puissance de l’Orient d’un mot (doté, qui plus est, d’un parfum épicé d’organisation chinoise mafieuse). Comme l’expression Nord/Sud dont on ne cesse de rappeler le caractère dépassé mais qu’on utilise toujours car elle rappelle, de façon caricaturale certes mais simple et frappante, l’inégalité du Monde. Or, si dans les premiers chapitres j’ai tenté de prendre au sérieux et au présent le couple Nord/Sud, je me débarrasserai rapidement de la Triade.

La première raison de ce choix découle de la redondance économique de cette lecture du Monde avec la grille Nord/Sud, exprimant surtout l’inégalité en richesse. La Triade, ou toute autre composition de même type listant des centres mondiaux, n’est qu’une régionalisation du « Nord ». Il s’agit des cœurs économiques et, par conséquent, géopolitiques. Passer du Nord/Sud à la Triade représente plus un changement d’échelle que de nature des phénomènes. C’est construire des Nords, au pluriel, face aux Suds devenus multiples. Ce serait, contrairement à ce qu’avait annoncé l’introduction générale, occulter, dans les métagéographies, les différences qualitatives, appelées « civilisationnelles » pour aller vite, qui structurent le Monde en devenir. Dans une division ternaire, les deux premiers pôles sont occidentaux : Amérique septentrionale et Europe. Les proximités entre eux sont considérables, linguistiques, de modes de vie, de valeurs, de pratiques politiques, de références culturelles, etc. Et ces traits sont, en revanche, profondément différents dans le troisième pôle, en Chine en tout premier lieu. Or, ces similitudes et ces oppositions ne se comprennent que dans la longue durée. Quelques siècles pour la diffusion européenne dans le Nouveau Monde le plus proche, l’Amérique du Nord, mais c’est en millénaires que les aires culturelles orientales et occidentales doivent mesurer leurs différenciations et leurs interactions éventuelles.

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